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Les Relations des Jésuites contiennent 6 tomes et défont le mythe du bon Sauvage de Jean-Jacques Rousseau, et aussi des légendes indiennes pour réclamer des territoires, ainsi que la fameuse «spiritualité amérindienne».

vendredi, juin 18, 2010

II page14

De la Mission de S. François Xauier à Onneiout

texte à venir

III. page 18

De la Mission de S. Iean Baptiste à Onnontagué

texte à venir

IV. page 18

De la Mission de S. loseph à Goïogoüen

texte à venir

V. page 20

Des Missions de la Conception, de S. Michel et de S. Iacques à Tsonnontoüan

texte à venir

TROISIESME PARTIE page 24

Des Missions aux Outaoüak. Prise de Possession au nom du Roy du pays des Outaoüak

texte à venir

I. page 28

De la Mission de Sainte Marie du Sault

texte à venir

II. page 31

De la Mission de S. Simon dans le lac des Hurons

texte à venir

III. page 36

De la Mission de S. Ignace à Missilimakinac

texte à venir

IV. page 39

De la Mission du S. Esprit, à l'extremité du Lac Superieur


Ces quartiers du Nord ont leurs Iroquois aussi bien que ceux du Sud. Ce sont certains peuples qu'on nomme les Nadouessi, qui se sont rendus redoutables à tous leurs voisins, parce qu'ils sont naturellement belliqueux; et quoy qu'ils ne se servent que de l'arc el de la fléche, ils en usent neantmoins avec tant d'adresse et avec tant de promptitude, qu'en un moment ils remplissent l'air, sur tout quand, à la façon des Parthes, ils tournent visage en fuyant: car c'est pour lors qu'ils décochent leurs fléches si prestement, qu'ils ne sont pas moins à craindre dans leur fuite que dans leurs attaques.

Ils habitent sur les rivages et aux environs de cette grande riviere appellée Mississipi, de laquelle il sera parlé. Ils ne font pas moins de quinze Bourgaùes assez peuplées, ct cependant ils ne sçavent ce que c'est de cultiver la terre pour l'ensemencer, se contentant d'une beaucoup "aequcr à la conversion des 'Cspece de seigle de marais, que nous nommons folle avoine, que leur fournissent naturellement les prairies, qu'ils partagent entr'eux, pour y faire la recoite chacun à part, sans empieter les uns sur les autres.

C'cst à soixante lieuës de l'extremité du Lac Superieur, vers le Soleil Couchant, et comme au centre des Nations qu'ils ont toutes sur les bras par une Ligue generale qui s'est faite contre eux, comme contre l'ennemy commun.

Ils parlent une Langue toute particuliere et entierement distincte de celle des Algonquins et des Hurons, qu'ils surpassent de beaucoup en generosité, puis qu'ils se contentent souvent de la gloire d'avoir emporté la victoire, et renvoyent libres les prisonniers qu'ils font dans le combat, sans les avoir endommagez.

Nos Outaoüacs et nos Hurons de la pointe du Saint Esprit avoient jusqu'à present entretenu une espece de paix avec eux; mais les affaires s'estant broüillées pendant l'hyver dernier, et mesme quelques meurtres ayant esté commis de part et d'autre, nos Sauvages eurent sujet d'apprehender que l'orage ne vint crever sur eux, et jugerent qu'il leur estoit plus seur de quitter la place, ~ont certains peuples qu'on nomme les comme ils tirent de fait dés le Printemps qu'ils se retirerent dans le Lac des Hurons, les Outaoüacs en l'Isle d'Ekaentouton, avec ceux de leur Nation, qui dés l'an passé y avoient pris le devant, et où nous avons en suite étably la Mission de saint Simon; et les Hurons en cette Isle fameuse de Missilimakinac, où nous avons commencé l'Hyver dernier la Mission de saint Ignace.

Et comme dans ces sortes de transmigrations, les esprits ne sont pas assez rassis, aussi le Pere Marquette qui a eu soin de cette Mission du saint Esprit, y a eu plus à souffrir, qu'à faire pour la conversion de ces peuples; car outre quelques enfans qu'il a baptisez, les malades qn'il a consolez, et les instructions qu'il a continuées à ceux qui font profession du Christianisme, il n'a pas pu beaucoup vacqucr à la conversion des autres, ayant esté obligé aussi bien qu'eux de quiller ce poste pour suivrc son troupeau, subir les mesmes fatigues et encourir les mesmes dangers.

C'est pour se rendre en cette terre de Missilimakinac, où ils ont déja demeuré autrefois, et qu'ils ont sujet de preferer à beaucoup d'autres, à cause des avantages que nous en avons rapportez au Chapitre precedent, et en outre, parce que ce climat est ce semble tout differcnt de celuy des autres circonvoisins, car l'Hyver y est assez court, n'ayant commencé que long-temps apres Noël, et finy vers la my-Mars, auquel temps nous avons veu icy renaistre le Printemps.

Il commença par un Parelie, qui sembloit en estre le presage, et qui ayant paru icy et ailleurs avec des circonstances curieuses, merite qu'on en parle en particulier.




Descnptton de divers Parelies, qui ont paru cét Hyver en ces quartiers.

Le vingt-uniesme Janyier i671. fut veu le premier Parelie dans la Baye des Puans, une ou deux heures avant Soleil couché, on voyoit en haut un grand Croissant, dont les cornes regardoient le Ciel, et aux deux costez du Soleil, deux autres Soleils, également distans du vray Soleil, qui tenoit le milieu. Il est vray qu'on ne les découvroit pas entierement, parce qu'ils estoient couverts, partie d'un nuage de couleur d'arc en Ciel, partie d'une grande lueur blanche, qui empeschoit l'œil de les bien distinguer. Les Sauvages voyant cela, dirent que c'estoit signe d'un grand froid, qui de fait fut tres-violent les jours suivans.

Le seiziesme de Mars de la mesme année, se fit voir le mesme Parelie, en trois endroits differents les uns des autres, de plus de cinquante lieuës.

Il fut donc veu en la Mission de saint Ignace à Missilimakinac, où parurent trois Soleils, distans les uns des autres comme d'une demie lieuë en apparence; en voicy trois circonstances que nous avons remarquées. La premiere est, qu'ils se firent voir deux fois le mesme jour, sçavoir le matin, une heure aprés le Soleil lcvé, et le soir une heure avant son couché. La seconde est, que celuy des trois, qui le matin estoit du costé du Midy, le soir, se trouva du costé du Septentrion; et en outre, celuy, qui le matin esloit ùu costé du Scptentrion, se voyoit plus bas que celuy du milieu, et le soir, ayant changé de situation ct pris le costé du Midy, s'estoit placé plus haut que le vray Soleil. La troisiesme circonstance est touchant la figure des deux faux Soleils; car celuy qui estoit du costé du Midy, se voyoit si bien formé, qu'à peine le pouvoit-on distinguer du vray, sinon qu'il paraissoit orné d'une bande d'écarlate du costé qu'il regardoit le vray Soleil; mais l'autre qui tenoit la gauche, avoit beaucoup plus de l'apparence d'un Iris en ovale que d'un Soleil; neantmoins on voyoit bien que c'en estoit une image, en laquelle le Peintre n'avoit pas assez bien reussi, quoy qu'il fût couronné comme d'un filet d'or qui luy donnoit fort bonne grace.

Ce mesme Parelie fut veu le mesme jour en l'Isle d'Ekaentouton, dans le Lac des Hurons, à plus de quarante lieuës de Missilimakinac: voicy ce qu'on en a remarqué de curieux à sçavoir. Trois Soleils parurent en mesme temps du costé du Couchant; ils estoient parallelles à la terre et égaux en grosseur, mais non pas en beauté. Le veritable Soleil estoit à l'Oüest Sur-Oüest, et les deux faux, l'un à l'Oüest, l'autre au Sur­Oüest. On vit en mesme temps' deux parties de cercles parallelles à l'horizon, tenant beaucoup des couleurs de l'arc­en-Ciel; le bleu estoit en dedans, la couleur d'aurore au milieu, et le gris obscur, ou cendré, cstoit à l'exterieur. De plus un quarl de cercle perpendiculaire à l'horizon, presque de mesme couleur, touchoit le faux Soleil, qui estoit au Sur-Oüest, et coupant le demy cercle parallelle à l'horizon, se confondoit et se perdoit dans cette rencontre, où le faux Soleil paroissoit. Le Ciel n'étoit pas si net du costé des Soleils que par tout ailleurs, où l'on ne yoyoit aucune nuée, mais seulement l'air mediocrement serein. On découvroit nettement la Lune, et s'il eust esté nuit, les étoiles auroient aisément paru. L'air pouvoit souslenir les faux Soleils durant un temps assez notable,·mais non pas le veritable. Ces trois Soleils ensemble ne faisoient pas tant de lumiere, que le vray Soleil en fait quand le Ciel est bien pur. Il y avoit apparence de vent en l'air, parce que les faux Soleils disparoissoient de temps en temps, et mesme le veritable, au dessus duquel enfin, fut veu un quatriesme Soleil posé en ligne droite, et en mesme distance que paroissoient les deux autres qui tenoient les deux costez. Ce troisiesme faux Soleil dura fort peu de temps, mais les deux demy cercles dont nous avons parlé, ne s'évanoüirent pas si tost, et lors que tous les faux Soleils cesserent de paroistre, ils laisserent aprés eux deux arcs-en-Ciel, comme de beaux restes de leurs lumieres. Les Sauvages qui tiennent toutes ces choses extraordinaires pour des Genies, et qui estiment que ces Genies sont mariez, demandoient au Pere qui les instruisait, si ce n'estait pas les femmes du Soleil qu'il considerait si curieusement: il leur dit que celuy qui a tout fait voulait les instruire sur le Mystere de la Sainte Trinité, et les desabuser par le Soleil mesme qu'ils adoraient. De fait le lendemain de ce Parelie, les femmes, qui ne voulaient pas entendre parler de la priere, presenterent leurs enfans pour estre baptisez.

Enfin ce mesme Phenomene s'est aussi fait voir le mesme jour au Sault, mais d'une façon bien ditferente et plus admirable, parce qu'outre les trois Soleils qui parurent le matin, on en vit huit tous ensemble un peu aprés midy. Voicy comme ils estaient rangez: le vray Soleil estait couronné d'un cercle formé des couleurs de l'arc-en-Ciel, dont il estait le centre; il avait à ses deux costez deux Soleils contrefaits, et deux autres, l'un comme sur sa teste, et l'autre comme à ses pieds: ces quatre derniers estaient placez sur la circonference de ce cercle en égale distance, et directement opposez les uns aux autres. De plus on voyait un autre cercle de mesme couleur que le premier, mais beaucoup plus grand, qui passait par en haut par le centre du vray Soleil, et avait le bas et les deux costez chargez de trois Soleils apparens, et tous ces huit luminaires faisoient ensemble un spectacle tres-agreable aux yeux, comme on en peut juger par la figure qui la represente.

V.page 41

De la Mission de S. François Xavier et des Nations qui en dependent

texte à venir

ART. I. page 42

Voyage en la Baie des Puans

texte à venir

ART. Il. page 43

Voyage à la Nation du Feu

texte à venir

ART. III. page 45

Ce qui s'est Passé touchant la publication de la Foy chez la Nation du Feu et chez vne de celles des Ilinois

texte à venir

ART. IV. page 47

Quelques particularitez de la Nation des Ilinois

texte à venir

ART. V. page 49

De la Mission de Saint Marc, au Bourg des Outagami

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1-4

RELATION

DE CE QUI S'EST PASSÉ DE PLUS REMARQUABLE

AUX MISSIONS DES PERES DE LA COMPAGNIE DE JESUS EN LA NOUVELLE FRANCE,

ÈS ANNÉES 1671, ET 1672.

Envoyée au R. P JEAN PINETTE, Provincial de la Province de France.

Par le R. P. Claude Dablon,

Recteur du College de Quebec,

et Superieur des Missions de la Compagnie de Jesus, en la Nouvelle France. (*)

(*) D'après l'édition de Sébastien Mabre-Cramoisy, publiée à Paris en l'année 1673.

Au Reverend Pere Jean Pinette, Provincial de la Province de France.


Nous ne pouvons regarader sans quelque chagrin, les vaisseaux qui partent de nostre rade, puisqu'ils enlevent en la personne de Monsieur de Courcelles, et en celle de Monsieur Talon, ce que nous avions de plus précieux.Eternellement nous nous souviendrons du premier, pour avoir si bien rangé les Iroquois â leur devoir, et eternellement nous souhaitterons le retour du second, pour mettre la derniere main aux projets qu'il a commencé d'executer si avantageusement pour le bien de ce païs.

Ces pertes nous seroient plus sensibles si elles n'estoient pas heureusement reparées par la venue de Monsieur le Comte de Frontenac, nostre nouveau Gouverneur, de qui le Roy a fait choix, pour soustenir les hauts desseins que sa Majesté a conceus pour sa Nouvelle France.

La découverte de la Mer du Nord, et de la fameuse baye de Hutson, que l'on cherche depuis long-temps, et qui avoit esté entreprise l'an passé par les ordres de Monsieur Talon nostre Intendant, a donné moyen à un de nos Missionnaires de porter la Foy dans des païs où elle n'avoit jamais esté annoncée, comme on verra dans le narré du voyage qu'il y a fait par les terres.

Nous n'esperons pas moins de celuy que Monsieur le Comte de Frontenac et Monsieur Talon, pour satisfaire aux intentions de sa Majesté, ont fait entreprendre pour la découverte de la Mer du Sud, qui probablement nous donneroit entrée aux grandes mers de la Chine et du Japon. Le Pere et les François qui sont envoyez pour cette hazardeuse expedition, ont besoin de beaucoup de courage et de prudence, pour aller chercher des mers inconnues par des routes de trois à quatre cents lieuës, toutes nouvelles, et parmy des Peuples qui n'ont jamais veu d'Europeans.

On est party en mesme temps pour aller faire des recherches plus exactes de la mine de cuivre, que le Sieur Peré a trouvée tout fraischement dans le lac Superieur. Le Navire de quatre à cinq cents tonneaux, qui se fait icy, et un autre plus grand, dont les materiaux sont tout prests, feront voir les utilitez qu'on peut recevoir de ce païs pour la navigation, et pourront servir à tirer les avantages que l'on espere de ces nouvelles découvertes, qui nous donnent moyen pour la pluspart de publier l'Evangile aux extremitez de ce nouveau monde.

Il ne nous manque, pour nous bien animer, que la presence de Monseigneur nostre Evesque. Son absence tient ce païs comme en deuil, et nous fait languir par la trop longue separation d'une personne si necessaire à ces Eglises naissantes. Il en estoit l'ame, et le zele qu'il faisoit paroistre en toutes rencontres pour le salut de nos Sauvages, attiroit sur nous des graces du Ciel, bien puissantes pour le bon succez de nos Missions; et comme pour éloigné qu'il soit de corps, son cœur est toujours avec nous, nous en éprouvons les effets par la continuation des benedictions, dont Dieu favorise et les travaux de nos Missionnaires, et ceux de Messieurs les Ecclesiastiques de son Eglise, qui continuent avec un grand zele, et avec l'édification publique, à procurer l'honneur de Dieu et à travailler au parfait establissement des Paroisses dans toute l'estendue de ce païs; ce qui ne sert pas de peu au progrez que fait nostre sainte Foy, qui n'avoit point encore esté portée si loin, ny publiée avec plus de succez.

C'est ce que vostre Reverence remarquera aisément par la lecture de cette Relation, que nous avons divisée en trois parties conformement aux trois langues de ce païs, la Huronne ou l'Iroquoise, la Montagnaise ou l'Algonquine, et la Françoise, en chacune desquelles les misericordes de Dieu ont éclatté aux yeux du Ciel et de la Terre.

Vostre tres-humble et tres-obeïssant seruiteur en N. S.

Claude Dablon.




Des Missions à la Colonie Huronne de Nostre-Dame de Foy proche Quebec, à S. Xavier des Prés vers Montreal, et aux païs des Iroquois.

PREMIERE PARTIE.

CHAPITRE PREMIER.

De la Colonie Huronne à Nostre-Dame de Foy.

ARTICLE I.

De la Charité des Chrestiens de cette nouvelle Eglise.

La divine Providence a voulu que la Colonie Huronne fust establie à Nostre-Dame de Foy, proche cette ville, et au milieu des habitations Françoises, pour faire voir qu'elle n'a point d'acception des personnes dans la distribution de ses dons, et pour donner de la confusion à nos François, par les bons exemples de cette Colonie. Une des peines du Pere Chaumonot, qui les conduit, est de moderer la trop grande ferveur de leur devotion, et l'excez de leur charité envers les pauvres.

Marie Oüendraka, dont il est parlé dans la Relation precedente, ayant connu la necessité d'vne pauvre famille, qui n'avoit pas de quoi se couvrir, l'assista de deux bonnes couvertures; et comme le Pere se conjouïssoit avec elle de cette bonne œuvre: Ah, mon Pere, dit-elle, je n'ay fait que ce que j'ay dû; je ne puis pas comprendre comment une personne qui auroit deux ou trois paires d'habits, pourroit voir un pauvre nud sans le secourir dans sa necessité. Quand j'ay besoin de quelque chose, dit le Pere, pour de pauvres François, je n'ay qu'à m'adresser à elle, car je suis asseuré que si elle a ce que je desire, elle me le donnera.

Comme on luy racontoit un jour de quelle maniere Nostre-Seigneur fit connoistre à saint Martin, que l'aumosne qu'il avoit faite de la moitié de son manteau, n'estant encore que Catechumene, luy estoit tres-agreable. Jesus a trop de bonté pour moy, dit-elle, et il me marque assez qu'il agrée le peu d'aumosnes que je fais, par le soin qu'il prend de m'en recompenser dés cette vie: pour un peu de blé que je distribuay l'an passé à de pauvres necessiteux (il est à remarquer qu'elle en donna trente boisseaux) il m'en a rendu une telle abondance que je ne sçai où le mettre; et une si grande quantité de citrouilles (elles sont d'une autre nature que celles de France, et passent pour des fruits delicieux parmi les Sauvages), que j'ay esté obligée d'aller moy-mesme inviter les François des environs, d'en venir prendre leur charge.

Ces bons Sauvages ont dans cette bourgade une pauvre fille muette et innocente, qui ne s'aide en rien non plus qu'un enfant, et au reste si disgraciée, si laide et si mal-propre, qu'elle fait horreur. Ces bonnes gens cependant, pleins de charité, se sont accordez d'en prendre le soin de mois en mois: chaque famille s'en charge à son tour, dans la veuë de lui continuer cette charité toute sa vie; chacun la reçoit dans sa cabane avec devotion, estant bien persuadez de cette parole de Nostre-Seigneur, Quod uni ex minimis meis fecistis, meis fecistis, ce que vous ferez au moindre des miens, je le tiendray comme fait à moy-mesme.

Cet Esté, pendant les grandes chaleurs, une pauvre femme qui travailloit dans son champ, ayant esté tuée par la cheute d'un arbre, son corps ne fut trouvé que deux jours aprés, desja tout corrompu; toute la bourgade y courut, mais personne n'avoit le courage de s'en approcher, à cause de la mauvaise odeur qui en sortoit; jusques à ce qu'une des ferventes de la sainte famille, dit à sa sœur: Allons, ma sœur, allons, pourquoy craignons-nous ce que nous devons bien-tost devenir? pourquoy avons-nous tant d'horreur d'un corps auquel le nostre doit estre semblable dans peu de jours? Allons donc, prenons ce corps et le portons au village, pour le faire inhumer en terre sainte, c'est un devoir auquel la charité nous oblige. A ces paroles, sa sœur prit courage, et toutes deux, aidées de quelques-uns de la compagnie, mirent le corps de la defuncte sur une espece de brancart, qui fut bien-tost fait, et la porterent à la bourgade, où elle fut enterrée dans le cimetiere, avec les ceremonies ordinaires de l'Eglise.

Ce qui est merveilleux dans cette petite Eglise, est que l'esprit de charité et d'union y regne dans toutes les familles; elles s'interessent les unes pour les autres en toutes occasions. Une des anciennes de l'assemblée de la sainte famille, voyant que de pauvres veuves n'avoient ni les forces ni le moyen d'ensemencer leurs champs, et que d'autres qui avoient accompaigné leurs maris à la chasse n'estoient pas encore revenues dans le temps qu'il falloit semer le blé d'Inde, s'en alla, aprés s'estre recommandée à la sainte Vierge, inviter les autres femmes du bourg à semer les terres de celles qui n'y estoient point, et elles s'y accorderent de bon cœur. Mais comme elle les pressoit de le faire au plus tost, quelqu'une de ses amies, trouvant trop d'empressement dans sa charité, luy dit qu'elle se rendoit importune, et qu'elle devoit considerer qu'en cette saison chacun avoit ses petites affaires, et mesme assez pressantes. Il n'importe, dit-elle, qu'on me blasme tant qu'on voudra d'estre importune, ne faut-il pas s'incommoder un peu pour aider son prochain dans sa necessité, puisque Nostre-Seigneur nous l'a commandé? Aprés tout, elle vint about de ce qu'elle pretendoit, au grand contentement de ces pauvres gens qui luy donnerent à leur retour mille benedictions pour sa charité.

Une jeune femme estant allée à la chasse avec son mary, envoya dire à sa mere qu'elle luy conseilloit de se retirer pendant son absence, dans la cabane d'une de ses parentes, pour espargner le bois qu'elle brusleroit en son particulier, et en faire l'aumosne à de pauvres malades qui en auroient besoin: la mere suivit le conseil de sa fille.

Le Pere Chaumonot ayant fait une instruction dans l'assemblée de la sainte famille, sur les œuvres de misericorde, à l'issue de cet entretien, deux de celles qui y avoient assisté donnerent à deux pauvres femmes à chacune une couverture de ratine de la valeur de vingt francs la piece, mais d'une maniere si chrestienne, qu'il sembloit qu'elles n'eussent rien donné, ou plustost qu'on leur eust fait grace de recevoir d'elles cette aumosne; aussi n'ignoroient-elles pas que le Paradis en devoit estre la recompense.

Le mesme Pere leur ayant raconté ce que Nostre-Seigneur disoit autrefois à ses Disciples, d'une pauvre veuve, qu'en donnant d'un grand cœur deux petites pieces de monnoye au Temple, elle avoit plus agreé à Dieu, que quantité d'autres qui y avoient fait de riches offrandes, elle eust tant de joye d'avoir contribué quelque chose de sa part à l'embellissement de la Chapelle de Nostre-Dame de Foy, qu'elle en passa toute la nuit sans dormir, remerciant Dieu de luy avoir inspiré d'imiter cette bonne femme de l'Evangile.

Cette mesme charité qu'ils ont entre eux leur rend sensibles les moindres dommages du prochain; ils les reparent au plus tost, et ils chastient mesme sevèrement leurs enfans quand ils en sont la cause: en voicy un exemple entre plusieurs autres. Une mere, ayant appris que son petit fils aagé de cinq ans, avoit gasté quelque chose dans le champ d'un voisin, et l'enfant l'ayant avoué, elle le punit rudement sur le champ: le Pere estant survenu à ses cris, il luy voulut épargner quelques coups: Je vous obeÿray, dit-elle, mon Pere, mais puisque vous m'empeschez de le chastier comme il le merite, ordonnez-luy donc, je vous prie, quelqu'autre penitence pour expier sa faute. Oüy-dea, répondit le Pere, qu'il se mette à genoux, qu'il demande pardon à Dieu de son peché, et qu'il s'en aille dire dix Ave Maria dans la Chapelle: en mesme temps l'enfant se mit à genoux, demanda pardon à Dieu en pleurant. Et il s'en alla pour accomplir le reste de sa penitence. Mais la mere craignant qu'il ne manquast à cette satisfaction, ou qu'il ne la fist pas entiere, voulut l'accompagner elle-mesme, et luy fit dire tout haut devant l'Autel les dix Ave Maria.

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Version en français contemporain

RELATION

DE CE QUI S'EST PASSÉ DE PLUS REMARQUABLE

AUX MISSIONS DES PÈRES DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS EN LA NOUVELLE-FRANCE,

EN LES ANNÉES 1671 ET 1672.

Envoyée au R. P JEAN PINETTE, Provincial de la Province de France.

Par le R. P. Claude Dablon,

Recteur du Collège de Québec,

et Supérieur des Missions de la Compagnie de Jésus, en Nouvelle-France. (*)

(*) D'après l'édition de Sébastien Mabre-Cramoisy, publiée à Paris en l'année 1673.


Au Révérend Père Jean Pinette, Provincial de la Province de France.


Nous ne pouvons regarder sans quelque chagrin, les vaisseaux qui partent de notre rade, puisqu'ils enlèvent en la personne de Monsieur de Courcelles, et en celle de Monsieur Talon, ce que nous avions de plus précieux. Éternellement nous nous souviendrons du premier, pour avoir si bien rangé les Iroquois à leur devoir, et éternellement nous souhaiterons le retour du second, pour mettre la dernière main aux projets qu'il a commencé d'exécuter si avantageusement pour le bien de ce pays.

Ces pertes nous seraient plus sensibles si elles n'étaient pas heureusement réparées par la venue de Monsieur le Comte de Frontenac, notre nouveau Gouverneur, de qui le Roi a fait choix, pour soutenir les hauts desseins que sa Majesté a conçus pour sa Nouvelle-France.

La découverte de la Mer du Nord, et de la fameuse Baie-d'Hudson, que l'on cherche depuis longtemps, et qui avait été entreprise l'an passé par les ordres de Monsieur Talon notre Intendant, a donné moyen à un de nos missionnaires de porter la Foi dans des pays où elle n'avait jamais été annoncée, comme on verra dans le narré du voyage qu'il y a fait par les terres.

Nous n'espérons pas moins de celui que Monsieur le Comte de Frontenac et Monsieur Talon, pour satisfaire aux intentions de sa Majesté, ont fait entreprendre pour la découverte de la Mer du Sud, qui probablement nous donnerait entrée aux grandes mers de la Chine et du Japon. Le Père et les Français qui sont envoyés pour cette hasardeuse expédition, ont besoin de beaucoup de courage et de prudence, pour aller chercher des mers inconnues par des routes de trois à quatre cents lieuës, toutes nouvelles, et parmi des peuples qui n'ont jamais vu d'Européens.

On est parti en même temps pour aller faire des recherches plus exactes de la mine de cuivre, que le Sieur Peré a trouvée tout fraîchement au lac Supérieur. Le navire de quatre à cinq cents tonneaux, qui se fait ici, et un autre plus grand, dont les matériaux sont tout prêts, feront voir les utilités qu'on peut recevoir de ce pays pour la navigation, et pourront servir à tirer les avantages que l'on espère de ces nouvelles découvertes, qui nous donnent moyen pour la plupart de publier l'Évangile aux extrémités de ce nouveau monde.

Il ne nous manque, pour bien nous enflammer, que la présence de Monseigneur notre évêque. Son absence tient ce pays comme en deuil, et nous fait languir par la trop longue séparation d'une personne si nécessaire à ces églises (églises en tant que communautés) naissantes. Il en était l'âme, et le zèle qu'il faisait paraître en toutes rencontres pour le salut de nos Sauvages, attirait sur nous des grâces du Ciel, bien puissantes pour le bon succès de nos Missions; et comme pour éloigné qu'il soit de corps, son cœur est toujours avec nous, nous en éprouvons les effets par la continuation des bénédictions, dont Dieu favorise et les travaux de nos missionnaires, et ceux de Messieurs les Ecclésiastiques de son Église, qui continuent avec un grand zèle, et avec l'édification publique, à procurer l'honneur de Dieu et à travailler au parfait établissement des paroisses dans toute l'étendue de ce pays; ce qui ne sert pas de peu au progrès que fait notre sainte Foi, qui n'avait pas encore été portée si loin, ni publiée avec plus de succès.

C'est ce que votre Révérence remarquera aisément par la lecture de cette Relation, que nous avons divisée en trois parties conformément aux trois langues de ce pays, la huronne ou l'iroquoise, la montagnaise ou l'algonquine, et la française, en chacune desquelles les miséricordes de Dieu ont éclaté aux yeux du Ciel et de la Terre.

Votre très humble et très obéissant serviteur en Notre-Seigneur.

Claude Dablon.

Des Missions à la colonie huronne de Notre-Dame-de-Foy proche de Québec, à Saint-François-Xavier-des-Prés (La Prairie, site nommé La Prairie de la Magdelaine et antérieurement appelé Saint-François-Xavier-des-Prés) vers Montréal, et aux pays des Iroquois.

PREMIÈRE PARTIE.

CHAPITRE PREMIER.

De la colonie huronne à Nostre-Dame-de-Foy (Sainte-Foy).

ARTICLE I.

De la charité des chrétiens de cette nouvelle Église (en tant que communauté).

La divine Providence a voulu que la colonie huronne fut établie à Notre-Dame-de-Foy (Sainte-Foy), proche de cette ville, et au milieu des habitations françaises, pour faire voir qu'elle n'a point de favoris des personnes dans la distribution de ses dons, et pour confondre nos Français, par les bons exemples de cette colonie. Une des peines du Père Chaumonot, qui les conduit, est de modérer la trop grande ferveur de leur dévotion, et l'excès de leur charité envers les pauvres.

Marie Oüendraka, dont il est parlé dans la Relation précédente, ayant connu le manque d'une pauvre famille, qui n'avait pas de quoi se couvrir, l'assista de deux bonnes couvertures; et comme le Père se réjouissait avec elle de cette bonne œuvre: «Ah, mon Père, dit-elle, je n'ai fait que ce que j'ai dû. Je ne puis pas comprendre comment une personne qui aurait deux ou trois habits, pourrait voir un pauvre nu sans le secourir dans son besoin. «Quand j'ai besoin de quelque chose, dit le Père, pour de pauvres Français, je n'ai qu'à m'adresser à elle, car je suis assuré que si elle a ce que je désire, elle me le donnera

Comme on lui racontait un jour de quelle manière Notre-Seigneur fit connaître à saint Martin, que l'aumône qu'il avait faite de la moitié de son manteau, n'étant encore que catéchumène, Lui était très agréable. «Jésus a trop de bonté pour moi, dit-elle, et je suis assez touchée qu'Il approuve le peu d'aumônes que je fais, par le soin qu'Il prend de m'en récompenser dès cette vie. Pour un peu de blé que je distribuai l'an passé à de pauvres nécessiteux (il est à remarquer qu'elle en donna trente boisseaux) (ancienne mesure ce capacité, un boisseau équivaut à environ un décalitre) il m'en a rendu une telle abondance que je ne sais où le mettre, et une si grande quantité de citrouilles (elles sont d'une autre nature que celles de France, et passent pour des fruits délicieux parmi les Sauvages), que j'ai été obligée d'aller moi-même inviter les Français des environs, d'en venir prendre leur part

Ces bons Sauvages ont dans cette bourgade une pauvre fille muette et innocente, qui ne s'aide pas plus qu'un enfant, et au reste si disgraciée, si laide et si malpropre, qu'elle fait horreur. Ces bonnes gens cependant, très charitables, se sont accordés d'en prendre soin de mois en mois. Chaque famille s'en charge à son tour, en vue de continuer cette charité toute sa vie. Chacun la reçoit dans sa cabane avec dévotion, étant bien persuadés de cette parole de Notre-Seigneur, «Quod uni ex minimis meis fecistis, meis fecistis: ce que vous ferez au moindre des miens, je le tiendrai comme fait à Moi-même.»

Cet été, pendant les grandes chaleurs, une pauvre femme qui travaillait au champ, ayant été tuée par la chute d'un arbre. Son corps ne fut trouvé que deux jours après, déjà tout décomposé. Toute la bourgade y courut, mais personne n'avait le courage de s'en approcher à cause de la mauvaise odeur qui en sortait, jusqu’à ce qu'une des ferventes de la sainte famille, dit à sa sœur: «Allons, ma sœur, allons. Pourquoi craignons-nous ce que nous devons bientôt devenir? Pourquoi avons-nous tant d'horreur d'un corps auquel le notre doit être semblable dans peu de jours? Allons donc! Prenons ce corps et portons-le au village, pour le faire inhumer en terre sainte. C'est un devoir auquel la charité nous oblige.» À ces paroles, sa sœur prit courage, et toutes deux, aidées de quelques-uns de la compagnie, mirent le corps de la défunte sur une espèce de brancard, qui fut bientôt fait, et la portèrent à la bourgade, où elle fut enterrée dans le cimetière, avec les cérémonies ordinaires de l'Église.

Ce qui est merveilleux dans cette petite Église (Église en tant que communauté), est que l'esprit de charité et d'union y règne dans toutes les familles. Elles s'intéressent les unes pour les autres en toutes occasions. Une des anciennes de l'assemblée de la sainte famille, voyant que de pauvres veuves n'avaient ni la force ni le moyen d'ensemencer leurs champs, et que d'autres qui avaient accompagné leurs maris à la chasse n'étaient pas encore revenues dans le temps qu'il fallait semer le blé d'Inde, s'en alla, après s'être recommandée à la Sainte Vierge, inviter les autres femmes du village à semer les terres de celles qui n'y étaient pas, et elles s'y accordèrent de bon cœur. Mais comme elle les pressait de le faire au plus tôt, une de ses amies, trouvant trop d'empressement dans sa charité, lui dit qu'elle se rendait importune, et qu'elle devait considérer qu'en cette saison chacun avait ses petites affaires, et même assez pressantes. «Il n'importe, dit-elle, qu'on me blâme tant qu'on voudra d'être importune. Ne faut-il pas s'incommoder un peu pour aider son prochain dans son besoin, puisque Notre-Seigneur nous l'a commandé?» Aprèss tout, elle vint about de ce qu'elle prétendait, au grand contentement de ces pauvres gens qui lui donnèrent à leur retour mille bénédictions pour sa charité.

Une jeune femme étant allée à la chasse avec son mari, envoya dire à sa mere qu'elle lui conseillait de se retirer pendant son absence, dans la cabane d'une de ses parentes, pour épargner le bois qu'elle brûlerait pour elle seule, et en faire l'aumône à de pauvres malades qui en auraient besoin. La mère suivit le conseil de sa fille.

Le Père Chaumonot ayant instruit l'assemblée de la sainte famille, sur les œuvres de miséricorde, à l'issue de cet entretien, deux de celles qui y avaient assisté donnèrent à chacune des deux pauvres femmes une couverture de ratine de la valeur de vingt francs la pièce, mais d'une manière si chrétienne, qu'il semblait qu'elles n'eussent rien donné, ou plutôt qu'on leur eut fait grâce de recevoir d'elles cette aumône. Aussi n'ignoraient-elles pas que le Paradis en devait être la récompense.

Le même Père leur ayant raconté ce que Notre-Seigneur disait autrefois à ses Disciples, d'une pauvre veuve, qu'en donnant d'un grand cœur deux petites pièces de monnaie au Temple, elle avait plus agréé à Dieu, que quantité d'autres qui y avaient fait de riches offrandes. Elle eut tant de joie d'avoir contribué quelque chose de sa part à l'embellissement de la chapelle de Notre-Dame-de-Foy (Sainte-Foy), qu'elle en passa toute la nuit sans dormir, remerciant Dieu de lui avoir inspiré d'imiter cette bonne femme de l'Évangile.

Cette même charité qu'ils ont entre eux leur rend sensibles les moindres dommages du prochain. Ils les réparent au plus tôt, et ils châtient même sévèrement leurs enfants quand ils en sont la cause. En voici un exemple entre plusieurs autres. Une mère, ayant appris que son petit fils âgé de cinq ans, avait brisé quelque chose dans le champ d'un voisin, et l'enfant l'ayant avoué, elle le punit rudement sur le champ. Le Père (Chaumonot) étant survenu à ses cris, il voulut lui épargner quelques coups.

- Je vous obéirai, dit-elle, mon Père, mais puisque vous m'empêchez de le châtier comme il le mérite, ordonnez-lui donc, je vous prie, quelqu'autre pénitence pour expier sa faute.

- Oui-da, répondit le père, qu'il se mette à genoux, qu'il demande pardon à Dieu de son péché, et qu'il s'en aille dire dix Ave Maria dans la chapelle.

En même temps l'enfant se mit à genoux, demanda pardon à Dieu en pleurant. Et il s'en alla pour accomplir le reste de sa pénitence. Mais la mère craignant qu'il ne manquât à cette satisfaction, ou qu'il ne la fit pas entière, voulut l'accompagner elle-même, et lui fit dire tout haut devant l'Autel les dix Ave Maria.

jeudi, juin 17, 2010

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ARTICLE II.

De leur zele et de leur devotion.


Si ces fervents Chrestiens, remplis de l'esprit de la primitive Eglise, se portent volontiers aux œuvres de misericorde corporelle, ils ont infiniment beaucoup plus d'ardeur pour les spirituelles. Entre mille exemples j'en choisiray seulement quelques-uns des plus illustres. Un jeune homme venant de la campagne, s'estoit arresté quelque temps à parler à une fille de quatorze à quinze ans, qui travailloit dans son champ: une femme zelée et amie de la famille, qui la apperceut, en alla donner avis à la mere de la fille. Cette mere, qui meine une vie toute sainte, qui conserve cette fille avec plus de soin que la prunelle de ses yeux, et qui aimeroit mieux, quoy qu'elle soit son unique, la voir morte que hors de la grace de Dieu, fut si affligée de cette nouvelle, que pour prevenir le mal et luy faire apprehender cette liberte par un chastiment extraordinaire, elle prit de petites cordes, en fit une discipline semblable à celles qu'elle avoit veuës, et en frappa sa fille le lendemain matin à son lever. Cette pauvre fille, qui se sentoit innocente, en fut bien surprise. Et quoy, dit-elle, ma mere, qu'ay-je fait? quel sujet vous ay-je donné de me traiter de la sorte? Ah! miserable que je suis, repondit la mere, toute baignée de larmes, faudra-t-il donc que je sois la mere d'une damnée? que j'aye mis au monde et élevé une fille pour les demons, et pour estre leur compagne eternelle dans les cruelles flammes de l'enfer? Ah mon Dieu, ne permettez pas que ce malheur m'arrive! Et en disant ces paroles, elle se donna à elle-mesme la discipline si rudement, qu'elle en porta long-temps les marques sur ses épaules.

On auroit de la peine à se persuader l'impression que fait sur ces ames bien disposées la connoissance de nos saints Mysteres, et le zele qu'elles ont ensuite pour souhaiter aux autres le mesme bien, et pour le leur procurer par toutes les voyes possibles. Une Iroquoise Chrestienne des plus considerables d'Agnié par sa noblesse, qui n'a quitté son païs que pour faire icy profession du Christianisme avec plus de liberté, s'en est expliquée en ces termes, au Pere Chaumonot.

Mon Pere, je me trouve icy heureusement en possession du bien que je cherchois il y a si long-temps, et que je ne trouvois pas dans nostre païs; j'en ay bien de la joye, et j'en remercie Dieu et la sainte Vierge plus de cent fois le jour. J'ay icy la liberté d'aller prier Dieu quand je le veux: nous avons la Chapelle de la sainte Vierge toute proche de nos cabanes, je suis toujours la bien venue aux pieds de ses Autels. Je demeure parmy des personnes qui sont dans les mesmes sentimens que moy; vous me consolez, mon Pere, quand j'en ay besoin; enfin mon esprit est parfaitement content. Une seule chose m'afflige, la misere de mes parens d'Agnié, qui sont encore infidéles pour la pluspart, et qui sont en danger de mourir dans leur infidelité. Mon Pere, que cette pensée me fait de la peine! Je sçay bien qu'ils ont aussi bien que nous des Peres qui les instruisent, et qui les exhortent continuellement à embrasser la Foy; il y a aussi des Chrestiens parmy eux, et des personnes qui vivent selon Dieu, il est vray; mais le plus grand nombre est encore du costé de ceux qui suivent nos coustumes superstitieuses, qui vivent dans l'yvrognerie et dans la brutalité. Ces mauvais exemples seront toujours un grand obstacle à leur conversion. Mon Pere, il m'est venu une pensée de leur écrire par vostre main, et de leur décharger mon cœur, sur les apprehensions que j'ay de la perte eternelle de leurs ames. Les Peres qui sont sur le lieu leur feront volontiers lecture de cette lettre.

Le Pere voulut bien luy prester sa main et sa plume, et elle luy dicta toutes ses pensées avec simplicité, adressant divers avis à divers de ses parens, selon la connoissance qu'elle avoit de leurs mœurs et de leurs foiblesses: voicy un extrait des principaux articles que la lettre contenoit.

La premiere personne à qui elle parle est sa sœur: Ma chere sœur, luy dit-elle, je me réjoüis de ce que vous avez embrassé la Foy. Si vous voïiez ce que font icy les bons Chrestiens, vous en seriez ravie; ô que vous auriez de plaisir de les entendre chanter les Cantiques spirituels dont ils honorent Dieu! Venez donc icy, ma chere sœur, et jouissons toutes deux ensemble d'un avantage si considerable.

Tsaoüenté, ma fille, (c'est une autre jeune femme à laquelle elle a laissé son nom), puisque nous n'avons toutes deux qu'un mesme nom, n'ayons, je te prie, qu'une mesme Religion; fais-toy instruire, fais-toy baptiser au plustost par les Peres, afin que nous ne soyons point separeés dans l'eternité! Aspirons toutes deux à la possession d'une unique felicité, que nostre Seigneur a promise aux bons Chrestiens dans le Ciel.

Puis s'adressant à son pere: Mon pere, mon cher pere, si vous sçaviez le desir que j'ay de vous voir au Ciel avec moy, et si vous estiez aussi assuré que moy du bonheur qu'on y possede, ô que vous auriez envie d'estre Chrestien! Escoutez bien les Peres qui vous instruisent, ils vous préchent des veritez que Jesus-Christ, le maistre de nos vies, leur a commandé de vous enseigner, et entr'autres qu'il prepare une vie eternelle à ceux qui garderont ses saints Commandements, et un enfer remply de feux eternels pour ceux qui ne les observent pas. Ah, mon cher pere, il n'y a que cette malheureuse habitude que vous avez de vous enyvrer, qui puisse vous fermer la porte du ciel. Prefererez-vous un plaisir honteux, et qui est toujours suivi de la perte de la raison, à la possession d'une felicité eternelle? Renoncez-donc avec courage à vos intemperances, faites-vous Chrestien. Si vous ne suivez mon conseil, sçachez que dans peu d'années, et peut-estre dans peu de jours je ne seray plus vostre fille, et que vous ne serez plus mon pere.

A un vieillard qui est son oncle, elle escrit ainsi: Mon cher oncle, j'ay bien de la joye de la nouvelle que j'ay apprise, que vous estes Chrestien. Ah procurez, je vous prie, le mesme bonheur à mon pere; j'attends cela de l'amour que vous avez pour luy et pour moy, ne me frustrez point de mon esperance.

Enfin, comme elle avoit coustume, estant dans son païs, de parler dans les Conseils, et d'y dire son sentiment sur les affaires publiques, parce qu'elle estoit du nombre des Otiandér, c'est à dire des Nobles et des considerables, elle conjure toute sa nation de retrancher ce qui les empesche d'écouter les Predicateurs de l'Evangile.

Habitans de Gannaoüaé, vous m'écoutiez autrefois dans les Conseils, mais je merite bien mieux à present d'estre escoutée, puisque je vous parle de vostre salut eternel, et de l'affaire la plus importante que vous ayez en ce monde. Escoutez ceux qui vous enseignent et les croïez; mais renoncez au plustost, avec moy, à ces miserables coustumes, que nos grands ennemis, les demons de l'enfer, ont inventées pour nous perdre avec eux; l'attache que vous y avez, aussi bien qu'à l'yvrognerie et à l'impureté, vous bouche les oreilles, et elle empesche que la doctrine salutaire qu'on vous enseigne, ne penétre jusques dans vos cœurs. Suivez mon conseil, autrement toutes les prieres que nous adressons pour vous tous les jours à la divine Majesté, vous seront inutiles. Ah! mes freres, que ne connoissez-vous les maux que souffrent en enfer ceux qui sont morts dans l'infidelité, ou dans leurs pechez, n'ayant pas observé ce qu'ils avoient promis au Baptesme! Que ne puis-je vous faire comprendre les contentemens dont vous jouirez dans le ciel, si vous me voulez croire! Ne pensez point que les Peres qui vous instruisent, veuillent vous tromper, ils vous portent la parole de celuy qui est la verité mesme, et la bonté souveraine; c'est maintenant que vous devez les écouter, il ne sera plus temps aprés la mort.

Cette ame zelée ne peut finir dans sa lettre; et nous avons remarqué qu'à mesure que nos Neophytes croissent dans l'esprit de la Foy, ils ont aussi plus de zele pour la conversion des autres. Un de nos anciens Dogiques, nommé Louis Taondechoren, disoit il n'y a pas longtemps, au mesme Pere, qu'il quitteroit volontiers, s'il le luy vouloit permettre, la demeure de Nostre-Dame de Foy, où il mene une vie douce et paisible, où il est aimé et respecté de tous ses gens, pour aller demeurer en un lieu éloigné, qu'il luy nommoit, fort incommode et où il auroit beaucoup à souffrir, parce qu'en quelques saisons de l'année, il y a grand abord d'Iroquois, et de Hurons étrangers; et que là il s'emploiroit nuit et jour à leur apprendre les veritez de nostre Religion, et qu'il mourroit volontiers dans cet exercice.

Ils sont tous bien informez de l'ardent desir que Nostre-Seigneur a de la conversion des ames, et c'est aussi pour luy plaire que plusieurs d'entr'eux font de grandes mortifications, et qu'ils adressent continuellement des prieres à Dieu pour le progrez de toutes ces nouvelles Eglises.

Le Pere fait une remarque surprenante dans ses memoires: que parmy ces nouveaux Chrestiens, qui n'estoient il y a quelques années que de pauvres Barbares, eslevez dans l'ignorance du vray Dieu, il en connoissoit plusieurs qui avoient un don extraordinaire d'oraison et d'union avec Dieu, jusqu'à ne perdre presque jamais sa presence. Et tout fraischement une bonne veuve qui estoit restée seule pour quelques mois, pendant que sa famille et tous ceux de sa cabane estoient allez à la chasse, luy disoit en riant: Mon Pere, mes gens ne sont-ils pas plaisans? ils me plaignent fort dans ma solitude, croyant que je m'ennuyeray beaucoup: vous sçavez, mon Pere, que je ne m'ennuye jamais moins que quand je suis seule. J'ay tant de choses à dire à Nostre-Seigneur, que je n'ay pas la moitié du temps que je souhaiterois pour luy parler. Je m'entretiens avec luy, comme si je le voyois de mes yeux, je le prie pour ceux qui n'ont pas le bien de le connoistre, je luy nomme tous ceux de ma famille les uns aprés les autres, et je luy demande pour eux, ce qui est le plus avantageux pour leur salut; je luy raconte mes peines et mes afflictions: il me semble aussi qu'il me repond et qu'il s'entretient avec moy, tant il a de bonté. Ah, que je suis esloignée de tomber dans l'ennuy, tandis que je suis ainsi en conversation avec mon Jesus! et que les journées me durent peu! cum simplicibus sermocinatio ejus! Au reste cette bonne femme nommée Jeanne Tsiaoüennia, est celle qui prit ce Printemps dernier, le soin de faire ensemencer les terres des pauvres, et de ceux qui n'estoient pas encore de retour de leur chasse.

Ce fut aussi la mesme, qui assistant de nuit une pauvre malade, apres qu'elle eut receu tous ses Sacremens, et la voyant entrer en l'agonie, alla par les cabanes convoquer toutes les associées de la sainte Famille, les assembla chez la malade, y fit avec elles des prieres convenables à l'estat où elle estoit, luy disant de temps en temps quelque bon mot à l'oreille, jusqu'à ce qu'elle eut expiré, et mesme passant en suite le reste de la nuit en priere pour le repos de son ame. J'ajouteray encore une chose assez considerable de cette devote et fervente Chrestienne. Le jour de Pasques, elle alla trouver le Pere, et luy dit: Mon Pere, je vous prie de trouver bon que je fasse aujourd'huy un festin aux principaux du bourg, en témoignage de la joye que nous avons de la glorieuse Resurrection de nostre Seigneur: vous sçavez nos coustumes; quand quelqu'un de nos alliez s'est échappé des mains des ennemis, apres les cris de joye, dont tout le bourg retentit à son arrivée, nous luy faisons festin de ce que nous avons de meilleur pour luy marquer la joye que nous avons de son heureuse delivrance. En ferions-nous moins pour nostre Seigneur Jesus-Christ, qui se presente aujourd'huy à nous dans la gloire de sa Resurrection, apres s'estre delivré par sa toute puissance, des mains de ses ennemis? il me semble, mon Pere, que ce serait en nous une ingratitude insupportable que de manquer à ce devoir. Le Pere luy ayant accordé ce qu'elle desiroit, plusieurs firent le mesme à son imitation, de sorte que toutes les Festes se passerent en devotion, en prieres, et en ces resjouissances innocentes. Or ces festins consistent d'ordinaire en deux ou trois boisseaux de blé d'Inde, quelquefois mélé avec des pois, et assaisonné ou de quelque poisson, ou de chair boucanée, c'est à dire seichée au feu et à la fumée; car de boisson il n'en faut point parler. Les prieres s'y font au commencement et à la fin, sans y manquer: apres la benediction, que donne le Pere, quand il s'y trouve, ou bien le chef de la famille, on chante, avant que de manger, quelques Cantiques Spirituels, et pendant ces jours de réjouissance, tous ces Cantiques furent sur le sujet de la Resurrection de Nostre-Seigneur. Les enfans firent aussi leur petit festin à part, il y avoit un grand plaisir à les entendre chanter à deux chœurs, le triomphe de la Resurrection du Fils de Dieu, les garçons d'un costé, et les filles de l'autre; il se trouve parmy eux de tres-belles voix. Ils gardent exactement la mesure, ils ne manquent point à faire tous en mesme temps les poses, et pas un ne devance les autres d'une seule syllabe.

Le beau de la ceremonie du jour de Pasques, fut qu'à l'issuë de la grand Messe un ancien Capitaine Chrestien, agé de plus de quatre-vingt-dix ans, fut si consolé d'avoir veu une ouverture de la Feste de Pasques si ravissante, tant de devotion et un nombre extraordinaire de communions, dans un meslange agreable de Hurons et de François, qu'il s'escria du milieu de la place, devant l'Eglise, d'une voix puissante, qui se faisoit entendre dans le fond des Forests voisines:

Koüatondharonnion, Koüatondharonnion, resjoÿssons-nous-nous, resjoÿssons-nous-nous hommes, femmes et enfans, grands et petits, jeunes et vieux, réjoüissons-nous, Jesus est resuscité, Jesus est resuscité, il est resuscité pour nous; il a surmonté la mort, nous ne la devons plus craindre, il nous fera part de sa vie, et de sa vie glorieuse. Ne redoutons plus nos ennemis, Jesus dans la gloire nous tient sous sa protection. Iroquois, apres avoir rassasié ta cruauté des chairs de nostre Nation, apres t'en estre saoulé, tu t'estois reservé, comme pour ton dessert, ce petit reste que nous sommes. Ce n'est plus pour toy, Jesus est trop puissant pour te le laisser arracher de ses mains, et la sainte Vierge sa Mere, qui a bien daigné prendre dans cette Chapelle sa demeure parmy nous, le prie avec trop d'instance de nous proteger; il ne nous abandonnera jamais, et il ne permettra jamais que nous soyons en proye à ta cruauté. Courage, petit reste de la Nation Huronne, vostre tige n'est pas encore seiche, elle repoussera, Jesus resuscité la fera revivre et refleurir; ouy, Jesus la retablira, et la rendra plus nombreuse que jamais, pourveu que nous luy soyons toujours fideles, et à la sainte Vierge, et que nous soyons fermes dans la resolution que nous avons prise de ne donner jamais aucune entrée au peché dans cette bourgade, sur tout aux vices qui sont capables de détruire la charité et l'union qui est entre nous, à l'impureté et à l'yvrognerie. Ce bon vieillard parloit du cœur, et son discours fit beaucoup d'impression dans l'esprit de ceux qui l'écouterent. Mais il n'y a rien en cela de bien extraordinaire: la Foy de ce bon Peuple est si grande, aussi bien que le desir qu'ils ont de se sauver, que vous ne leur parlez jamais de Dieu, de nos saints Mysteres, et de tout ce qui touche le salut eternel, qu'ils n'en soient sensiblement touchez. On ne croiroit pas combien ils verserent de larmes pendant la semaine Sainte, au sujet de la Passion que le Pere Chaumonot leur prescha le Vendredy Saint, ils ne se contenterent pas de tesmoigner par leurs yeux le sentiment qu'ils en avoient, ils voulurent encore méler leur sang avec leurs larmes par de rudes disciplines.

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Version en français contemporain

ARTICLE II.

De leur zèle et de leur dévotion.

Si ces fervents chrétiens, remplis de l'esprit de la primitive Église (L'Église en tant que communauté des chrétiens, instituée par Jésus-Christ), se portent volontiers aux œuvres de miséricorde corporelle, ils ont infiniment beaucoup plus d'ardeur pour les spirituelles. Entre mille exemples j'en choisirai seulement quelques-uns des plus illustres. Un jeune homme venant de la campagne, s'était arrêté quelque temps à parler à une fille de quatorze à quinze ans, qui travaillait dans son champ. Une femme zélée et amie de la famille, qui l’aperçut, en informa la mère de la fille. Cette mère, qui mène une vie toute sainte, qui garde cette fille avec plus de soin que la prunelle de ses yeux, et qui aimerait mieux, quoiqu'elle soit son unique, la voir morte que hors de la grâce de Dieu, fut si affligée de cette nouvelle, que pour prévenir le mal et lui faire saisir cette liberté (familiarité) par un châtiment extraordinaire, elle prit de petites cordes, en fit un fouet semblable à ceux qu'elle avait vus, et en frappa sa fille le lendemain matin à son lever. Cette pauvre fille, qui se sentait innocente, en fut bien surprise.

- Et quoy, dit-elle, ma mère, qu'ai-je fait? quel raison vous ai-je donnée de me traiter de la sorte?

-Ah! Misérable que je suis, répondit la mère, toute baignée de larmes, faudra-t-il donc que je sois la mère d'une damnée, que j'aie mis au monde et élevé une fille pour les démons, et pour être leur compagne éternelle dans les cruelles flammes de l'enfer? Ah mon Dieu, ne permettez pas que ce malheur m'arrive!

Et en disant ces paroles, elle se donna à elle-même le fouet si rudement, qu'elle en porta longtemps les marques sur ses épaules.

On aurait de la peine à se persuader l'impression que fait sur ces âmes bien disposées la connaissance de nos saints Mystères, et le zèle qu'elles ont ensuite pour souhaiter aux autres le même bien, et pour le leur procurer par toutes les voies possibles. Une Iroquoise chrétienne des plus dignes d'Agnié par sa noblesse, qui n'a quitté son pays que pour faire ici profession du christianisme avec plus de liberté, s'en est expliquée en ces termes, au Père Chaumonot.

«Mon Père, je me trouve ici heureusement en possession du bien que je cherchais il y a si longtemps, et que je ne trouvais pas dans notre pays. J'en ai bien de la joie, et j'en remercie Dieu et la Sainte Vierge plus de cent fois par jour. J'ai ici la liberté d'aller prier Dieu quand je le veux. Nous avons la chapelle de la Sainte Vierge toute proche de nos cabanes. Je suis toujours la bienvenue aux pieds de ses Autels. Je demeure parmi des personnes qui ont les mêmes connaissances que moi. Vous me consolez, mon Père, quand j'en ai besoin. Enfin mon esprit est parfaitement content. Une seule chose m'afflige, la misère de mes parents d'Agnié, qui sont encore infidèles pour la plupart, et qui sont en danger de mourir dans leur infidélité. Mon Père, que cette pensée me fait de la peine! Je sais bien qu'ils ont aussi bien que nous des Pères qui les instruisent, et qui les exhortent continuellement à embrasser la Foi. Il y a aussi des chrétiens parmi eux, et des personnes qui vivent selon Dieu, il est vray. Mais le plus grand nombre est encore du côté de ceux qui suivent nos coutumes superstitieuses, qui vivent dans l'ivrognerie et dans la brutalité. Ces mauvais exemples seront toujours un grand obstacle à leur conversion. Mon Père, il m'est venu une pensée de leur écrire par votre main, et de leur décharger mon cœur sur les appréhensions que j'ai de la perte éternelle de leurs âmes. Les Pères qui sont sur le lieu leur feront volontiers lecture de cette lettre

Le Père voulut bien lui prêter sa main et sa plume, et elle lui dicta toutes ses pensées avec simplicité, adressant divers avis à divers de ses parents, selon la connaissance qu'elle avait de leurs mœurs et de leurs faiblesses. Voici un extrait des principaux articles que la lettre contenait.

La première personne à qui elle parle est sa sœur: «Ma chère sœur, lui dit-elle, je me réjouis de ce que vous ayez embrassé la Foy. Si vous voyiez ce que font ici les bons chrétiens, vous en seriez ravie. Ô que vous auriez du plaisir de les entendre chanter les cantiques spirituels dont ils honorent Dieu! Venez donc ici, ma chère sœur, et jouissons toutes deux ensemble d'un avantage si grand.

Tsaoüenté, ma fille,
(c'est une autre jeune femme à laquelle elle a laissé son nom), puisque nous n'avons toutes deux qu'un même nom, n'ayons, je te prie, qu'une même religion. Fais-toi instruire. Fais-toi baptiser au plutôt par les Pères, afin que nous ne soyons pas séparées dans l'éternité! Aspirons toutes deux à la possession d'une unique félicité, que Notre-Seigneur a promise aux bons chrétiens dans le Ciel

Puis s'adressant à son père: «Mon père, mon cher père, si vous saviez le désir que j'ai de vous voir au Ciel avec moi, et si vous étiez aussi assuré que moi du bonheur qu'on y possède, ô que vous auriez envie d'être chrétien! Écoutez bien les Pères qui vous instruisent. Ils vous prêchent des vérités que Jésus-Christ, le Maître de nos vies, leur a commandé de vous enseigner, et entre autres qu'Il prépare une vie éternelle à ceux qui garderont Ses saints Commandements, et un enfer rempli de feux éternels pour ceux qui ne les observent pas. Ah! Mon cher père, il n'y a que cette malheureuse habitude que vous avez de vous enivrer, qui puisse vous fermer la porte du ciel. Préfèrerez-vous un plaisir honteux, et qui est toujours suivi de la perte de la raison, à la possession d'une félicité éternelle? Renoncez donc avec courage à vos intempérances, faites-vous chrétien. Si vous ne suivez pas mon conseil, sachez que dans peu d'années, et peut-être dans peu de jours je ne serai plus votre fille, et que vous ne serez plus mon pere

À un vieillard qui est son oncle, elle écrit ainsi: «Mon cher oncle, j'ai bien de la joie de la nouvelle que j'ai apprise, que vous êtes chrétien. Ah! Procurez, je vous prie, le même bonheur à mon père. J'attends cela de l'amour que vous avez pour Lui et pour moi, ne me frustrez pas de mon espérance

Enfin, comme elle avait coutume, étant dans son pays, de parler dans les conseils, et d'y donner son avis sur les affaires publiques, parce qu'elle était du nombre des Otiander, c'est à dire des nobles et des importants, elle conjure toute sa nation de retrancher ce qui les empêche d'écouter les prédicateurs de l'Évangile.

«Habitants de Gannaouaé, vous m'écoutiez autrefois dans les conseils, mais je mérite bien mieux à présent d'être écoutée, puisque je vous parle de votre salut éternel, et de l'affaire la plus importante que vous ayez en ce monde. Écoutez ceux qui vous enseignent et croyez-les. Mais renoncez au plutôt, avec moi, à ces misérables coutumes, que nos grands ennemis, les démons de l'enfer, ont inventées pour nous perdre avec eux. L'attache que vous y avez, aussi bien qu'à l'ivrognerie et à l'impureté, vous bouche les oreilles, et elle empêche que la doctrine salutaire qu'on vous enseigne ne pénètre jusques dans vos cœurs. Suivez mon conseil, autrement toutes les prières que nous adressons pour vous tous les jours à la divine Majesté, vous seront inutiles. Ah! mes frères, que ne connaissez-vous les maux que souffrent en enfer ceux qui sont morts dans l'infidélité, ou dans leurs péchés, n'ayant pas observé ce qu'ils avaient promis au baptême! Que ne puis-je vous faire comprendre les satisfactions dont vous jouirez dans le Ciel, si vous voulez me croire! Ne pensez pas que les Pères qui vous instruisent, veuillent vous tromper. Ils vous portent la Parole de Celui Qui est la vérité même, et la bonté souveraine. C'est maintenant que vous devez les écouter, il ne sera plus temps après la mort

Cette âme zélée n’en finissait plus dans sa lettre. Et nous avons remarqué qu'à mesure que nos néophytes croissent dans l'esprit de la Foy, ils ont aussi plus de zèle pour la conversion des autres. Un de nos anciens dogiques (catéchistes), nommé Louis Taondechoren, disait il n'y a pas longtemps, au même Père, qu'il quitterait volontiers, s'il voulait le lui permettre, la demeure de Notre-Dame de Foy, où il mène une vie douce et paisible, où il est aimé et respecté de tous ses gens, pour aller demeurer en un lieu éloigné, qu'il lui nommait, fort incommode et où il aurait beaucoup à souffrir, parce qu'en quelques saisons de l'année, il y a grand nombre d'Iroquois et de Hurons étrangers, et que là il s'emploierait nuit et jour à leur apprendre les vérités de notre religion, et qu'il mourrait volontiers dans cet exercice.

Ils sont tous bien informés de l'ardent désir que Notre-Seigneur a de la conversion des âmes, et c'est aussi pour Lui plaire que plusieurs d'entre eux font de grandes mortifications, et qu'ils adressent continuellement des prières à Dieu pour le progrès de toutes ces nouvelles Églises (Églises en tant que communauté).

Le Père fait une remarque surprenante dans ses mémoires, que parmi ces nouveaux chrétiens, qui n'étaient il y a quelques années que de pauvres barbares élevés dans l'ignorance du vrai Dieu, il en connaissait plusieurs qui avaient un don extraordinaire d'oraison et d'union avec Dieu, jusqu'à ne perdre presque jamais sa présence. Et tout fraîchement une bonne veuve qui était restée seule pour quelques mois, pendant que sa famille et tous ceux de sa cabane étaient allés à la chasse, lui disait en riant: «Mon Père, mes gens ne sont-ils pas plaisants? Ils me plaignent fort dans ma solitude, croyant que je m'ennuierais beaucoup. Vous savez, mon Père, que je ne m'ennuie jamais moins que quand je suis seule. J'ai tant de choses à dire à Notre-Seigneur, que je n'ai pas la moitié du temps que je souhaiterais pour Lui parler. Je m'entretiens avec Lui comme si je le voyais de mes yeux. Je Le prie pour ceux qui n'ont pas le bien de Le connaître. Je Lui nomme tous ceux de ma famille les uns après les autres, et je Lui demande pour eux, ce qui est le plus avantageux pour leur salut. Je Lui raconte mes peines et mes afflictions. Il me semble aussi qu'Il me répond et qu'il s'entretient avec moi, tant Il a de bonté. Ah! Que je suis éloignée de tomber dans l'ennui, tandis que je suis ainsi en conversation avec mon Jésus et que les journées me durent peu: Cum simplicibus sermocinatio Ejus!» Au reste cette bonne femme nommée Jeanne Tsiaoüennia, est celle qui prit ce printemps dernier le soin de faire ensemencer les terres des pauvres, et de ceux qui n'étaient pas encore de retour de leur chasse.

Ce fut aussi la même, qui assistant de nuit une pauvre malade, après qu'elle eut reçu tous ses Sacrements, et la voyant entrer en agonie, alla par les cabanes convoquer toutes les associées de la sainte Famille, les assembla chez la malade, y fit avec elles des prières convenables à l'état où elle était, lui disant de temps en temps quelque bon mot à l'oreille, jusqu'à ce qu'elle eut expiré, et même passant ensuite le reste de la nuit en prière pour le repos de son âme. J'ajouterai encore une chose assez grande de cette dévote et fervente chrétienne. Le jour de Paques, elle alla trouver le Père, et lui dit: «Mon Père, je vous prie de trouver bon que je fasse aujourd'hui un festin aux principaux de la bourgade, en témoignage de la joie que nous avons de la glorieuse Résurrection de Notre-Seigneur. Vous savez nos coutumes. Quand quelqu'un de nos alliés s'est échappé des mains des ennemis, après les cris de joie dont toute la bourgade retentit à son arrivée, nous lui faisons festin de ce que nous avons de meilleur pour lui marquer la joie que nous avons de son heureuse délivrance. En ferions-nous moins pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, Qui Se présente aujourd'hui à nous dans la gloire de Sa Résurrection, après S'être délivré par Sa toute puissance, des mains de Ses ennemis? Il me semble, mon Père, que ce serait en nous une ingratitude insupportable que de manquer à ce devoir.» Le Père lui ayant accordé ce qu'elle désirait, plusieurs firent de même en l’imitant, de sorte que toutes les Fêtes se passèrent en dévotion, en prières, et en ces réjouissances innocentes. Or ces festins consistent d'ordinaire en deux ou trois boisseaux de blé d'Inde (maïs), quelquefois mêlé avec des pois, et assaisonné ou de poisson, ou de chair boucanée, c'est à dire séchée au feu et à la fumée. Car de boisson alcoolisée il n'en faut pas parler. Les prières s'y font au commencement et à la fin, sans y manquer, après la bénédiction que donne le Père, quand il s'y trouve, ou bien le chef de la famille. On chante, avant que de manger, quelques cantiques spirituels. Et pendant ces jours de réjouissance, tous ces cantiques furent sur le sujet de la Résurrection de Notre-Seigneur. Les enfants firent aussi leur petit festin à part. Il y avait un grand plaisir à les entendre chanter à deux chœurs, le triomphe de la Résurrection du Fils de Dieu, les garçons d'un côté, et les filles de l'autre. Il se trouve parmi eux de très belles voix. Ils gardent exactement la mesure, ils ne manquent pas à faire tous en même temps les poses, et pas un ne devance les autres d'une seule syllabe.

Le beau de la cérémonie du jour de Paques, fut qu'à l'issue de la grand-messe un ancien meneur chrétien, âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, fut si consolé d'avoir vu une ouverture de la Fête de Paques si ravissante, tant de dévotion et un nombre extraordinaire de communions, dans un mélange agréable de Hurons et de Français, qu'il s'écria du milieu de la place, devant l'église, d'une voix puissante, qui se faisait entendre dans le fond des forêts voisines:

«Koüatondharonnion, Koüatondharonnion, réjouissons-nous, réjouissons-nous hommes, femmes et enfants, grands et petits, jeunes et vieux, réjouissons-nous, Jésus est ressuscité, Jesus est ressuscité, il est ressuscité pour nous. Il a surmonté la mort, nous ne devons plus la craindre. Il nous fera part de sa vie, et de sa vie glorieuse. Ne redoutons plus nos ennemis. Jésus dans la gloire nous tient sous Sa protection. Iroquois, après avoir rassasié ta cruauté des chairs de notre nation, après t'en être saoulé, tu t'étais réservé, comme pour ton dessert, ce petit reste que nous sommes. Ce n'est plus pour toi. Jésus est trop puissant pour te le laisser arracher de Ses mains, et la Sainte Vierge Sa Mère, qui a bien daigné prendre dans cette chapelle sa demeure parmi nous, Le prie avec trop d'instance de nous protéger. Il ne nous abandonnera jamais, et il ne permettra jamais que nous soyons en proie à ta cruauté. Courage, petit reste de la nation huronne, votre tige n'est pas encore sèche. Elle repoussera. Jésus ressuscité la fera revivre et refleurir. Oui, Jésus la rétablira et la rendra plus nombreuse que jamais, pourvu que nous Lui soyons toujours fidèles, et à la Sainte Vierge, et que nous soyons fermes dans la résolution que nous avons prise de ne donner jamais aucune entrée au péché dans cette bourgade, surtout aux vices qui sont capables de détruire la charité et l'union qui est entre nous, à l'impureté et à l'ivrognerieItaliqueCe bon vieillard parlait du cœur, et son discours fit beaucoup d'impression dans l'esprit de ceux qui l'écout;erent. Mais il n'y a rien en cela de bien extraordinaire. La Foy de ce bon peuple est si grande, aussi bien que le désir qu'ils ont de se sauver, que vous ne leur parlez jamais de Dieu, de nos saints Mystères, et de tout ce qui touche le salut éternel, qu'ils n'en soient sensiblement touchés. On ne croirait pas combien ils versèrent de larmes pendant la semaine Sainte, au sujet de la Passion que le Père Chaumonot leur prêcha le Vendredi Saint. Ils ne se contentèrent pas de témoigner par leurs yeux le sentiment qu'ils en avaient. Ils voulurent encore mêler leur sang avec leurs larmes par de rudes disciplines.

8-11

Article III.

De la devotion des Chrestiens Hurons envers le saint Enfant Jesus.

La Reverende Mere Marie de l'Incarnation, dont nous parlerons cy-apres, fit au commencement de l'Avent, un present au premier Dogique de la petite Eglise Huronne, Louys Taondechoren, d'une tres-belle Image de cire en relief du saint Enfant Jesus, dans son berceau. Ce bon Sauvage en témoigna plus de rcconnoissance, que si on luy eust donné tous les tresors du monde. Toute la Bourgade prit part à sa joye, et regarda cette sainte Image, quoy que donnée à un particulier, comme un bien commun et comme un present envoyé du Ciel. Leur Pasteur qui ne cherche que de nouvelles occasions d'enflammer toujours davantage ce zele qu'ils ont pour tout ce qui est du Service de Dieu, prit en effet le dessein, du consentement de Louys, d'en donner la consolation à tout le monde, et de faire en sorte que toutes les cabanes eussent les unes apres les autres la jouissance de ce tresor. Comme ils sont bien instruits, ils considéraient dans cette Image, celuy qu'elle representoit; ils sçavoient bien que les honneurs qu'ils luy rendroient ne s'arresteroient pas à la figure qu'ils avoient devant les yeux, mais qu'ils passeraient jusques à la personne sacrée du Sauveur du monde, qui a bien daigné se faire enfant pour nostre amour. Ils prirent la pensée d'offrir les honneurs qu'ils rendroient à cette sainte Image, en reparation de la mauvaise reception que les Juifs firent à l'Enfant Jesus, quand il vint au monde. Le Pere qui les vit dans ces bons sentimens, les asseura que cette devotion attireroit sur eux mille benedictions du Ciel. Il leur donna une semaine entière pour se preparer à recevoir l'Image dans leurs cabanes: cette semaine se passa dans un redoublement de ferveur bien agreable au Ciel et à la Terre. Un Missionnaire est heureux quand il trouve le moyen de s'insinuer dans les cœurs; tout ce qui peut servir à l'avancement de son Eglise dans l'esprit de la Foy, et dans la pratique des solides vertus luy paroist grand. Il écrivit en des billets separez le nom des Chefs de chaque cabane; et le jour destiné à cette devotion estant venu, apres que l'on eust chanté le Veni Creator, le premier billet qui se trouva sous sa main, fut celuy où estoit marqué le nom d'une bonne veuve, qui s'estoit signalée entre les autres dans la preparation qu'elle avoit apportée pour se rendre digne d'estre la premiere hostesse du petit Jesus. Elle n'avoit pensé à autre chose qu'à ce qui luy pourroit estre agreable, elle s'estoit souvent levée avant le jour pour aller luy presenter ses vœux dans la Chapelle, et y reciter son chapelet, pour fléchir en sa faveur le cœur de sa sainte Mere. A cette nouvelle, elle pensa mourir de joye. En un moment tout fut prest, sa cabane bien nette, un petit Autel fort propre, avec son daiz, orne de tout ce qu'elle avoit pu trouver de beau pour recevoir un tel hoste. Car elle estoit bien persuadéé que ce choix estoit un coup du Ciel, et une marque d'une Providence particuliere de Nostre-Seigneur sur elle et sur toute sa famille. La sainte Image y ayant esté portée comme en Procession et posée sur l'Autel, le Pere leur fit faire

une priere pour saluer leur hoste, et luy offrir tout ce qu'ils avoient, leurs biens, leurs personnes et leur vie, et à la fin ils se mirent tous à chanter des Noëls en leur langue en l'honneur du saint Enfant Jesus, ce qu'ils continuerent tous les jours suivans à leurs petits Saluts du soir.

La ceremonie fut suivie d'un festin, que fit cette bonne femme aux plus notables de la Bourgade, mais avant que de leur presenter à manger, elle dit à foute la compagnie: C'est le petit Jesus qui vous regale, et vous sçaurez que quoy que tout soit à luy, independamment de moy, je luy fais neantmoins de ma franche volonté, un don special de tout ce qui m'appartient, de mon blé et autres grains, et de mes petits meubles, et je le prie aussi de prendre possession de ma personne et de mes enfans, pour en disposer comme il luy plaira, pendant cette vie, et dans toute l'étendue de l'éternité, c'a esté pour luy faire cette protestation solemnelle en vostre presence que j'ay preparé en son nom ce petit banquet. Cette devotion fut approuvée de toute la compagnie, et le Pere qui estoit present, apres la benediction, leur fit faire une priere au saint Enfant Jesus, pour le supplier d'accepter l'offrande de celte bonne veuve. Elle voulut de plus que deux de ses enfans eussent aussi leur part à cette offrande. Elle manda à ce dessein son petit fils Joseph, âgé de treize ans,nostre écolier en la sixiéme, filleul de Monseigneur nostre Evesque, qui le fait élever dans l'Evéché. Lors qu'il fut arrivé, elle luy fit premierement adorer Nostre-Scigneur en son Image, et luy demanda par apres, en luy monstrant quelques colliers de pourcelaine, en quoy consistent toutes les richesses de la famille, s'il n'estoit pas bien content d'offrir au petit Jesus la moitié de sa part: Tres-volontiers, dit-il. Elle fit la mesme proposition à une fille qu'elle a, et elle en receut la mesme réponse: La dessus, vous me consolez mes enfans, dit-elle, le petit Jesus aura donc pour agreable d'accepter la moitié de ce que nous avons de plus precieux, et trouvera bon que du reste nous en achetions nos petites necessitez.

Le lendemain elle pria le Pere de venir jusques chez elle, et là en presence de ses enfans, elle le supplia d'accepter un beau collier de 4000. grains de pourcelaine pour le petit Jesus, afin d'affermir l'amitié qu'il avoit daigné leur témoigner en choisissant leur cabane pour sa premiere demeure dans la bourgade, et pour le supplier de les regarder toujours comme des personnes, qui, estant toutes à luy par la necessité de leur estre et par les secours continuels de ses graces, s'estoient engagées à luy par une resolution volontaire de leur liberté, pour le servir le reste de leur vie avec plus de fidelité que jamais, le conjurant de ne les point abandonner, et quoy qu'il prit son logis en d'autres cabanes, d'avoir toujours pour eux une Providence particuliere. Le Pere accepta lors le collier, pour ne la point priver du merite de sa liberalité et de sa reconnoissance ; mais quinze jours apres, il l'obligea de le reprendre, à cause de sa pauvreté, l'asseurant que Nostre-Seigneur en seroit aussi satisfait que s'il estoit employé à embellir ses Autels.

Cette image du saint Enfant Jesus, changeant chaque semaine de cabane, en la maniere que j'ay dit, jusques à la feste de la Purification, chacun par une sainte jalousie prenoit plaisir à luy preparer un reposoir toujours plus magnifique, trouvoit de nouvelles inventions pour le garantir de la fumée. Cette devotion fit des biens incroyables par tout; la modestie et la retenue de ceux de la cabane qui jouissoit de ce bonheur, estoit si grande, que pendant ce temps-là, on s'y comportoit à peu pres comme dans une Eglise ; les Saluts s'y faisoient reglément tous les soirs, mesme en l'absence du Pere; les petits aussi bien que les grands y assistoient sans y manquer, et apres les prieres communes, qu'ils recitoient tous à haute voix à l'heure ordinaire, ils chantoient alternativement, les hommes et les petits garçons d'un costé, et les femmes et les filles de l'autre, des Cantiques et des Hymnes en leur Langue, sur le Mystere de la naissance du Fils de Dieu: leur maniere de chanter estoit si agreable et si devote, que les François qui demeurent aux environs, et quelques-uns mesme dans des habitations assez éloignées, les écouloient avec admiration et en étoient touchez. Les plus éclairez d'entr'eux remarquerent un si grand changement dans les familles, qui avoient receu chez elles l'Image du saint Enfant Jesus, que quand ils s'appercevoient de quelque desordre dans une famille, ils souhaitoient aussi-tost et procuroient selon leur pouvoir, qu'on y portât la sainte Image: c'est ce que fit leur Capitaine. Voyant un jour que toutes les remonstrances qu'on faisoit à une jeune femme, pour la porter à se reconcilier avec son mary, ne servoiont de rien, il s'adressa avec beaucoup de simplicité et de confiance au saint Enfant Jesus. Monseigneur, luy dit-il, vous voyez l'opiniastreté de cette femme, faites luy misericorde; ayez, je vous prie, la boulé de choisir sa cabane la semaine prochaine pour vostre demeure, et infailliblement son cœur s'amollira, et elle se remettra dans son devoir. Il declara sa pensée au Pere, et la priere qu'il avoit faite. Elle fut exaucée de Nostre-Seigneur comme il l'avoit esperé. Car le Dimanche suivant, le Pere ayant fait assembler tout le monde dans la Chapelle, suivant sa coustume, pour l'election du lieu, où logeroit le petit Jesus la semaine suivante, le sort tomba heureusement sur la cabane de la jeune femme; et ce qui est encore plus remarquable, c'est qu'ayant esté inflexible jusques alors, et dans un orgueil insupportable, elle parut en un moment toute changée, et qu'elle se remit parfaitement bien avec son mary. Dieu se servit encore pour faire ce coup, d'une autre bonne Chrestienne sa tante, qui luy representa fortement, que si elle n'ostoit au plustost le scandale que causoit son opiniastreté, le saint Enfant Jesus n'entreroit point chez elle, mais qu'on procederoit à sa grande confus'on, à l'election d'une autre cabane plus digne de celuy qui n'ayme que l'humilité, la douceur, la patience et la charité.

S'ils ont une telle confiance d'estre exaucez dans les prieres qu'ils adressent à Nostre-Seigneur et à sa sainte Mere pour obtenir la guerison des maladies spiiituelles, on ne s'estonnera pas de celle qu'ils ont dans leurs maladies corporelles: je pourrois en apporter cent exemples; mais un ou deux suffiront pour finir cet article. Vne Iroquoise Chrestienne promit à la sainte Vierge de visiter sa Chapelle neuf jours consecutifs, et d'y reciter à chaque fois le petit chapelet de la sainte Famille, en faveur d'un de ses enfans fort malade: dés le second jour de sa neuvaine, l'enfant fut parfaitement guery, et vint prier Dieu dans la Chapelle à l'ordinaire avec les autres enfans.

Le Principal Dogique de celle Eglise, ayant aussi son fils en danger de mort, alla trouver le Pere, qui se disposoit à dire la Messe, pour luy dire qu'il ne vouloit plus se servir de tant de remedes pour guerir son fils. J'avois l'esté passé, luy disoit-il, un flux si opiniastre, que tous les remedes ne me pouvoienl donner aucun soulagement, je priay un de vos Peres qui alloit à l'Autel, de demander à Dieu ma guerison, et le mesme jour je fus guery: le mesme arrivera à mon fils, si vous avez la bonté de dire la Messe pour luy. Le Pere Chaumonot luy accorda ce qu'il desiroil, et le mesme jour l'enfant fut aussi parfaitement guery.

Ce bon homme est tout remply de Dieu: ayant eu à son tour dans sa cabane, l'Image du saint Enfant Jesus, qui luy appartenoit en propre, il s'entretenoit dans son interieur continuellement avec luy; et rendant compte au Pere, des bons sentimens qu'il avoit eus pendant qu'il avoitjouy de ce bonheur: J'ay eu, dit-il, la pensée, mon Pere, de faire à l'égard du bon Jesus, à son depart de chez moy, ce qui m'arrive en l'absence de mon fils; vous diriez que mon esprit le suit et l'accompagne par tout, tant je pense souvent à luy; je suis en peine quand il est éloigné de moy, je crains qu'on ne luy fasse quelque mal. Je serois aussi bien fasché que dans les cabanes où Jesus est reçeu en sa sainte Image, il se fist quelque chose en sa presence qui le pust offenser.


11-16


ARTICLE IV.

De la Conversion de Joachim Annieouton, et sa mort.

Quoy que cette petite Eglise soit florissante, et que toutes les vertus Chrestiennes y soient dans l'éclat, il ne laisse pas de s'y trouver toujours quelques ames rebelles qui donnent de l'exercice au zele d'un Missionnaire fervent, et à la charité des membres les plus sains qui la composent.

Il y avoit plus de vingt-cinq ans que Joachim Annieouton estoit au rang des Fideles par le saint Baptesme, quoy qu'il fust demeuré encore infidele dans son cœur, et n'eust de Chrestien que le nom, et de temps en temps quelque belle apparence exterieure. Ses vices entr'autres, estoient l'impureté, l'yvrognerie et l'impieté. Le scandale en estoit d'autant plus grand, qu'il estoit consideré pour sa valeur, son esprit et son bon sens: ces belles qualitez luy donnoient le premier rang dans toutes leurs affaires, et rien ne se terminoit que de son avis.

Ce cœur revolté avoit esté attaqué souvent par divers de nos Missionnaires, et comme il estoit adroit, pour éviter un plus rude assaut, il sembloit quelquefois donner les mains et se rendre, il paroissoit plus retenu en ses paroles, plus assidu aux prieres publiques, à la Messe et aux instructions; il faisoit si bien qu'il laissoit à tous ceux qui le voyoient cette impression qu'il estoit vrayement converty, jusques à ce que dans l'occasion ses œuvres fissent paroistre le contraire: ce procedé plein de ruse et de malice, faisoit desesperer de son salut, sans un coup extraordinaire de la bonté de Dieu, qui ne vouloit pas que tant de prieres et de vœux que l'on faisoit tous les jours pour sa conversion, fussent inutiles et sans fruit. Il permit qu'il fut accusé d'estre complice d'un crime dont il estoit innocent; sur des indices qui faisoient paroistre la chose probable, on le prend, on le meine en prison, et on luy met les fers aux pieds. En voicy le sujet: deux jeunes fripons revenus depuis quelque temps du païs des Iroquois, où ils avoient esté prisonniers de guerre, se voyant persecutez pour leurs mauvaises mœurs, prirent le dessein d'y retourner; mais pour estre les bien venus parmy ces Peuples, et rentrer plus aisement dans leurs bonnes graces, ils jugerent qu'ils devoient, ou leur mener quelqu'un de leurs ennemis, ou du moins leur en porter la cheveleure: cette resolution estant prise, ils s'accosterent d'un Sauvage de la Nation des Abnaki, nos alliez et ennemis des Iroquois, l'inviterent à aller boire avec eux sa part d'une bouteille, le menerent à l'écart dans les bois, où l'ayant enyvré, ils le lierent à un arbre à dessein de s'embarquer avec luy le lendemain au point du jour; mais les Hurons en ayant eu le bruit, et Monsieur Talon nostre Intendant en estant averty, mit en mesme temps des Soldats en campagne, qui firent telle diligence qu'ils trouverent l'Abnaki, seul dans ses liens, les criminels n'ayant eu que le temps de s'échapper dés lors qu'ils les avoient apperceus; ils le délierent et le remenerent à ses gens, lesquels indignez de cette action, et n'ayant pas oublié quelque demeslé qu'ils avoient eu avec Annieouton, persuaderent à celuy-cy qui avoit esté dans le danger, de declarer en presence de témoins, qu'il avoit appris de ces deux fuyards, qu'Annieouton avoit esté l'auteur de cette trahison, dont on avoit fort apprehendé les suites, la nation des Abnaki estant nombreuse et assez mutine. Ce qui rendoit encore probable cette calomnie, estoit que l'un des deux estoit son proche parent, d'où on inferoit qu'il ne pouvoit pas avoir ignoré ce mauvais dessein, et que l'ayant sçeu, il devoit les en detourner efficacement, ou du moins en donner avis à ceux qui avoient le pouvoir d'empescher ce desordre.

Cette calomnie si bien concertée trouva tant de creance dans les esprits, que prés de deux mois se passerent avant que la verité fust connue; c'estoit le temps que la divine Providence vouloit donner à ce cœur endurcy pour s'amollir et se reconnoistre. De fait se voyant dans une obscure prison, les fers aux pieds, couché sur la terre et en danger de mourir au gibet, et se sentant accablé de chagrin et comme au desespoir, il fit cette reflexion: Encore avec tous ces maux, ay-je quelques heures un peu douces de temps en temps, mes parens et mes amis me visitent, qui me consolent et m'apportent un peu à manger, ils me portent compassion, et les Peres ne m'abandonnent point; de plus, je n'ay pas encore perdu toute esperance peut-estre que mon innocence sera reconnuë; cependant cette triste demeure m'est insupportable. Que feray-je donc dans l'enfer, qui m'est inevitable, si je continue à vivre comme j'ay fait jusques à present? ah mon Dieu, miserable que je suis! comment pourrai-je demeurer éternellement dans ces flammes cruelles sans soulagement, sans consolation, et dans la rage? Il entra si avant dans ces pensée salutaires de l'eternité malheureuse, qu'il conçeut pour lors devoir estre l'heritage asseuré de ceux qui meurent malheureusement dans leur peché, et la Foy qui se reveilla en luy, fit dans son esprit une impression si vive de toutes les veritez chrestiennes qu'on luy avoit enseignées, que tout effrayé de la veuë qu'il eust des extremes rigueurs de la justice de Dieu envers ceux qui abusent, comme il avoit fait, de ses graces, il dit en soy-mesme: Ah mon Dieu, c'en est fait, c'est tout de bon que je veux vous servir! Il en prit la résolution si ferme, qu'il l'a depuis gardée fidelement jusques à la mort. A la premiere entreveuë qu'il eust avec le Pere Chaumonot: Ah! mon Pere, luy dit-il, je vous ay trompé jusques à present, j'ay trompé autrefois Aondecheté (c'est le nom du Pere Ragueneau), j'ay trompé aussi plusieurs fois Teharonhiagannra (c'est à dire le Pere le Mercier), je vous ay tous trompez; vous me pressiez tres-souvent de me convertir, et moy, pour vous contenter et pour me delivrer, comme je disois alors, de cette importunité, je vous accordois en apparence ce que vous souhaittiez de moy: je vous disois: Ouy je me convertiray; mais il faut que je vous decouvre un secret, il faut que vous sçachiez que nous avons un ouy qui veut dire non, un certain ouy traisné et languissant, quand nous disons, aaao, quoy que nous semblions accorder ce qu'on demande de nous, cet aaao neantmoins ainsi traisné, veut dire, je n'en feray rien; au lieu que quand nous accordons quelque chose tout de bon, nous coupons plus court et disons Ao, ouy. Maintenant, mon Pere, que j'ay ouvert les yeux, et que Dieu m'a fait la grace de connoistre mon malheur, c'est tout de bon que je veux changer de vie. Il luy declara ensuite tout ce qui s'estoil passé dans son esprit, les vives apprehensions qu'il avoit euës des jugemens de Dieu; et pour mettre en pratique ces bons sentimens, il commença, apres s'y estre bien preparé, par une confession generale de toute sa vie, depuis son Baptesme; il la fit avec des sentimens qui donnerent bien de la consolation au Pere. Il estoit encore alors dans les fers, mais peu de jours apres, ne s'estant trouvé aucune preuve convainquante du crime dont on l'avoit accusé, il fut élargy. La joye en fut tres-grande dans le bourg, principalement lors que dans un festin qu'il fit à tous ses gens, en presence du Pere, il leur parla en ces termes: Mes freres, c'est maintenant que je reconnois Hechon (c'est le nom du Pere Chaumonot) pour mon Pere, et que je me declare son fils, je veux dorenavant luy obeir en tout ce qu'il m'ordonnera. Helas! je n'avois point d'esprit lors que je me faschois quand on luy donnoit connoissance de ma vie et des mauvaises mœurs de mes semblables; je connois bien maintenant qu'il nous est tres-avantageux pour nostre salut qu'il sçache tous nos deportemens et toutes nos miseres, afin qu'il y remedie. Mes freres, ne vous fiez plus à moy desormais, si quelqu'un d'entre nous avoit la volonté de ne pas vivre selon Dieu, ce que je ne croy pas, qu'il sçache que je le déceleray. Il ajosta plusieurs choses de grande édification, qui donnerent sujet à toute la compagnie d'en benir la divine Majesté, et de s'en resjouir avec le nouveau penitent. Ces resolutions si publiques ne furent pas de simples paroles, elles furent suivies de leurs effets, il ne parut plus rien en luy de ses anciennes habitudes, il estoit des premiers dans tous les exercices de devotion, et il témoigna tant de zele pour bannir du bourg tous les desordres, et sur tout ceux que l'yvrognerie a coustume de causer, qu'il luy en cousta la vie. Voicy en peu de mots comme la chose se passa. Un jeune homme revenu du païs des Iroquois, chantoit dans son yvresse, qu'il y vouloit retourner, mais qu'il ne pretendoit pas y paroistre les mains vuides, cela vouloit dire qu'il avoit dessein de tuer quelqu'un, et d'en emporter la chevelure. On en fit rapport à nostre Joachim, qui avoit demandé au Pere de faire l'office de Dogique, en l'absence de Louys Taondechoren, pour reparer le scandale qu'il avoit donné devant sa conversion, il reprend cet insolent, qui n'estoit yvre qu'à demy: Mon cousin, luy dit-il, n'as-tu point de honte de parler de la sorte? serois-tu bien si dénaturé de vouloir réjouir nos ennemis en massacrant quelqu'un de tes proches? n'as-tu pas encore icy un frere, une sœur, et d'autres parents? veux-tu donc les abandonner pour t'aller donner derechef en qualité d'esclave à des barbares qui ont ruiné nostre païs? Il parloit encore lors que l'yvrogne, et deux autres de ses camarades qui n'avoient pas plus de raison ny de jugement que luy, le jettent par terre, et le frappant de plusieurs coups de cousteau, le mettent en tel estat qu'il fut enlevé comme mort de leurs mains, avec trois ou quatre playes tres-dangereuses.

Estant revenu à soy, il dit au Pere: Mon Pere, mon esprit est en repos, je me sens resigné à tout ce qu'il plaira à Dieu d'ordonner de ma vie; s'il veut que je meure, j'espere qu'il me fera misericorde et qu'il me pardonnera mes pechez; je pardonne aussi de bon cœur à ceux qui m'ont si mal-traitté. Comme il paroissoit en danger de mort, et qu'il souffroit de grandes douleurs, il demanda et receut avec beaucoup de devotion les derniers Sacremens, le Viatique et l'Extreme-Onction.

Cependant trois jeunes hommes de ses parens font dessein de le venger; ils cherchent les meurtriers par toutes les cabanes, où par bonheur ils ne se trouverent pas. Le malade ne changea point de disposition d'esprit, au contraire ayant appris ce mauvais dessein, il témoigna en estre fort fasché, et que s'il l'avoit sçeu, il les en auroit détournez efficacement.

Le lendemain matin, le Pere et quelques anciens l'allerent visiter, ils luy presenterent selon la coustume du païs, un collier de pourcelaine, tiré de leur fisque de Nostre-Dame de Foy, c'est un petit fond qu'ils ont fait entr'eux par devotion, et qu'ils entretiennent comme entre les mains de la sainte Vierge, pour en aider les pauvres et pour subvenir à quelques necessitez pressantes. Ce fut donc de ce fonds qu'ils tirerent ce collier, pour témoigner à ce pauvre blessé le ressentiment que tout le bourg avoit de l'accident qui luy estoit arrivé, et pour l'affermir dans ses pensées de paix, de douceur et de compassion pour les auteurs de sa mort. Il les remercia de leur civilité et de leur charité, et à l'heure mesme il envoya querir les trois jeunes hommes, qui avoient voulu venger sa mort, et ceux qui pourraient avoir le mesme dessein, leur montra le collier qu'on luy venoit de presenter, en leur disant: Mes neveux, voila la voix et la parole de Nostre Dame et maîtresse, qui nous exhorte à oublier tout le mal que j'ay receu, et l'injure qui m'a esté faite par ceux que vous sçavez; ne me faites point passer pour un inconstant et pour un menteur, il n'y a que peu de jours que je promis solemnellement que je serois bon Chrestien, et maintenant vous voudriez me faire paroistre un vindicatif. Car ne diroit-on pas, si vous faisiez un mauvais coup, que ce seroit moy qui vous l'aurois commandé? et puis, regardant le Pere, je vous prie, dit-il, mon Pere, qu'on aille chercher les criminels, tandis que j'ay encore la parole un peu libre, qu'ils entendent de ma propre bouche que je leur pardonne de bon cœur, et comme je deffends à mes neveux de leur faire aucun tort; on les trouva, ils entrerent dans la cabane, se placerent vers les pieds du malade, qui les salua avec beaucoup de douceur, les asseurant qu'il ne leur vouloit aucun mal, qu'il n'attribuoit qu'à la boisson le malheur qui luy estoit arrivé, et qu'il estoit bien persuadé que jamais ils ne l'auroient traitté de la sorte s'ils eussent esté en leur bon sens. Au reste, leur dit-il, vous voyez bien que pour ce qui est de moy, vous n'avez rien à apprehender, Dieu me fait la grace de n'avoir dans le cœur aucune pensée de haine ny de vengeance contre vous, mais quand bien je serois si malheureux que d'en avoir, les blessures mortelles, qui me rendent immobile, me mettent hors du pouvoir de vous nuire. Si vous aviez donc à craindre, ce ne pourroit estre que de mes neveux, c'est ce qui m'a obligé de les faire appeller pour connoistre leurs sentimens, et les faire entrer dans les miens ; qu'ils parlent et qu'ils disent nettement en vostre presence ce qu'ils ont dans le cœur. Le plus apparent d'entr'eux prenant la parole pour tous, declara que pour obeïr à nostre Seigneur, qui commandoit si expressement de pardonner à ses ennemis, ils renonçoient à tous les sentimens de vengeance qu'ils avoient eus à la veuë du malheur arrivé à leur Oncle. Tous les autres ensuite s'expliquerent là dessus presqu'en mesme termes, et les coupables témoignerent aussi publiquement un grand regret de leur faute, et beaucoup de compassion pour celuy qu'ils avoient mis en un estat si deplorable. Cette entreveuë se termina par une priere que le Pere adressa à Nostre Seigneur, et qu'il fit faire à tous les assistans, en faveur du malade, pour luy obtenir la patience dans ses maux et la grace d'une bonne mort.

Un de ces jeunes hommes qui avoient voulu prendre vengeance de l'outrage fait à leur Oncle, fut tellement touché de la reprimande qu'il leur en avoit faite, que pour reparer le scandale qu'il avoit donné, il alla prier le Pere Chaumonot de mettre dans le petit Thresor de la sainte Vierge le lendemain, un collier de pourcelaine qu'il luy presentoit. Le Pere le receut, et le lendemain il le produisit devant tout le monde assemblé dans la Chapelle, témoignant de la part du coupable, le déplaisir qu'il avoit de sa faute, et priant toute la compagnie de luy en obtenir le pardon aupres de la sainte Vierge, qui est considerée comme la maistresse et la souveraine de ce bourg. Ces sortes de satisfactions ont autant et plus d'effet parmy les Sauvages que les punitions corporelles parmy nous.

Le malade, qui languit plus de cinquante jours avant que de mourir, conserva toujours les mesmes sentimens de charité envers les criminels, tandis qu'ils furent en prison, où ils souffrirent beaucoup; il demandoit souvent de leurs nouvelles par un sentiment de compassion chrestienne, et lorsqu'ils furent élargis, il eust bien voulu pouvoir les délivrer de l'amende à laquelle ils avoient esté condamnez. Mais ce qui édifia le plus tout le bourg et les François du voisinage, fut que ces miserables estans hors d'affaires, il les envoyoit souvent prier de le venir visiter pour sa consolation, et qu'il ne témoignoit jamais plus de joye que quand il pouvoit s'entretenir avec eux. C'estoit un spectacle pitoyable que de le voir: ce n'estoit que corruption et que pourriture vers les reins et les hanches, où il avoit esté dangereusement blessé; la chair luy tomboit par lambeaux, et les os luy perçoient la peau; il estoit couché sur une dure écorce d'arbre, couverte d'une legere natte tissuë de joncs; il ne pouvoit de luy-mesme changer de posture, et on ne le pouvoit remuer sans luy faire souffrir des douleurs excessives: cependant il ne luy eschappa jamais en toute sa maladie une parole d'impatience, il benissoit Dieu continuellement et luy offroit ses souffrances. Un jour sa femme, qui n'avoit aucun repos ny jour ny nuit, luy témoignant la peine que luy donnoit une si longue et si fascheuse maladie, il luy dit: Aoüendihas (c'estoit le nom de sa femme), ne nous plaignons point, gardons nous bien de trouver à redire au procedé de là divine Providence envers nous; elle est admirable et tout aimable sur moy, Dieu veut que par ces legeres peines, je satisfasse en cette vie à sa justice, pour mes pechez, qui ont merité mille fois une eternité de supplices. Pendant ses plus cuisantes douleurs, il tenoit d'ordinaire les yeux collez sur un Crucifix qu'il avoit aupres de son lit, avec ces paroles qu'il tiroit du fond de son cœur: Jesus, je vous tiens compagnie en vostre Croix, je pardonne volontiers à ceux qui m'ont causé ce que je souffre, comme vous avez pardonné à ceux qui vous avoient crucifié, ô que j'endure de bon cœur pour mes pechez, pour lesquels vous avez tant souffert le premier; je vous demande seulement, mon Sauveur, que vous ayez pitié de moy apres ma mort, j'espere que pour lors vous me ferez part de vostre joye, puisque vous me faites maintenant la grace de participer à vostre Passion. Il n'estoit jamais seul; toutes les familles le visitoient chacune à son tour, et l'assistoient en tout avec une charité bien agreable à Dieu, et que les François ne pouvoient assez admirer.

Le jour de sa mort, le voyant dans des convulsions qui marquoient que sa fin approchoit, ils s'assemblerent tous dans sa cabane, et comme ils n'ignorent rien des saintes coutumes de l'Eglise, ils firent comme ils purent en leur langue les recommandations de l'ame, en l'absence du Pere, qui estoit allé à quelqu'autre bonne œuvre pressante, apres avoir administré tous les Sacremens à nostre malade.

Il fut fort consolé à son retour de les trouver tous à genoux dans ce saint exercice, et son malade encore en estat de faire en le suivant, quelques actes de Foy, de confiance en la misericorde de Dieu, de charité et de resignation à sa sainte volonté, apres lesquels il expira doucement, laissant à toute la compagnie de grandes esperances de son salut eternel.

Il y eust une circonstance assez extraordinaire en ses funerailles, où assisterent toutes les familles du bourg, et plusieurs François du voisinage. Avant qu'on mist le corps en terre, la veufve demanda si les auteurs de sa mort estoient presens; et luy ayant répondu que non, elle pria qu'on les allât querir. Ces pauvres gens estans venus, ils s'approcherent du mort, la veuë baissée, la tristesse et la confusion sur le front. La veufve les regardant: Hé bien, leur dit-elle, voila le pauvre Joachim Annieouton, vous sçavez ce qui l'a reduit en l'estat où nous le voyons maintenant; je ne vous en demande point d'autre satisfaction, sinon que vous priiez Dieu pour le repos de son ame. Nous avons reconnu par la conversion de ce Sauvage, qui avoit donné tant d'exercice au zele de nos Missionnaires, qu'il ne faut jamais desesperer du salut des plus vicieux, mais qu'il faut incessamment espier les occasions et les moments de la grace, qui se fait sentir sur tout dans les afflictions, et nous pouvons dire de celuy-cy, que son emprisonnement et ses fers luy ont fait recouvrer la liberté des enfans de Dieu.

La consolation de ce bon Sauvage auroit esté entiere, si ses blessures eussent pu permettre de le transporter dans l'Hospital de Quebec, où les Religieuses Hospitalieres, que Madame la Duchesse d'Aiguillon y a fondées et établies depuis plus de 33. ans, assistent avec toute la charité possible, non seulement les François dans leurs maladies, mais aussi les Sauvages, de quelque Nation qu'ils soient, Algonquins, Hurons, ou Iroquois. Tous ces Peuples y sont reçeus à bras ouverts, traittez et couchez à la Françoise dans leurs maladies; et mesme les familles entieres qui viennent des païs étrangers pour s'habituer à Nostre-Dame de Foy parmy les Hurons, ou à Sillery avec les Algonquins, y sont les bien-venuës, hebergées et nourries jusques à ce qu'elles voyent clair pour leur établissement. Aussi les

sains et les malades, qui y ont recouvré leur santé, publient par tout leur charité et les bons exemples qu'ils y voyent de toutes les vertus; ils ne parlent qu'avec admiration de leur assiduité auprés des malades, comme elles passent souvent les nuits, ou en prieres, ou en les soulageant dans leurs douleurs, et les exhortant à la patience avec tel succez, que c'est assez de mourir en l'Hospital de Quebec pour avoir des marques sensibles de sa predestination.

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Version en français contemporain

ARTICLE IV.

De la conversion de Joachim Annieouton, et sa mort.


Quoique cette petite Église (communauté chrétienne) soit florissante, et que toutes les vertus chrétiennes y éclatent, il s'y trouve toujours quelques âmes rebelles qui donnent de la misère au zèle d'un fervent missionnaire, et à la charité des membres les plus sains qui la composent.

Il y avait plus de vingt-cinq ans que Joachim Annieouton était au rang des fidèles par le saint baptême, quoiqu'il fut demeuré encore infidèle dans son cœur, et n'eut de chrétien que le nom, et de temps en temps quelque belle apparence extérieure. Ses vices entre autres, étaient l'impureté, l'ivrognerie et l'impiété. Le scandale en était d'autant plus grand, qu'il était considéréà sa valeur, son esprit et son bon sens. Ces belles qualités lui donnaient le premier rang dans toutes leurs affaires, et rien ne se terminait que selon son avis.

Ce cœur révolté avait été défié souvent par divers de nos missionnaires, et comme il était adroit, pour éviter un plus rude assaut, il semblait quelquefois lever les mains et se rendre. Il paraissait plus retenu en ses paroles, plus assidu aux prières publiques, à la messe et aux instructions. Il faisait si bien qu'il laissait à tous ceux qui le voyaient cette impression qu'il était vraiment converti, jusqu'à ce que ses œuvres fissent paraître le contraire. Ce procédé plein de ruse et de malice, faisait désesperer de son salut. Sans un coup extraordinaire de la bonté de Dieu, Qui ne voulait pas que tant de prières et de vœux que l'on faisait tous les jours pour sa conversion, fussent inutiles et sans fruit. Il permit qu'il fut accusé d'être complice d'un crime dont il était innocent sur des indices qui faisaient paraître la chose probable. On le prend, le mène en prison, et on lui met les fers aux pieds. En voici le sujet:

Deux jeunes fripons revenus depuis quelque temps du pays des Iroquois où ils avaient été prisonniers de guerre, se voyant persécutés pour leurs mauvaises mœurs, décidèrent d'y retourner. Mais pour être les bienvenus parmi ces peuples et rentrer plus aisément dans leurs bonnes grâces, ils jugèrent devoir ou leur mener un de leurs ennemis, ou du moins leur en porter la cheveleure. Cette décision étant prise, ils accostèrent un Abénaquis (Algonquin de la Nouvelle-Angleterre), nos alliés et ennemis des Iroquois, l'invitèrent à aller boire avec eux sa part d'une bouteille, le menèrent à l'écart dans les bois, où l'ayant enivré, ils le lièrent à un arbre à dessein de s'embarquer avec lui tôt le lendemain matin. Mais les Hurons en ayant eu vent, et Monsieur Talon notre Intendant en étant averti, mit en même temps des soldats en campagne, qui avec empressement trouvèrent l'Abénaquis seul dans ses liens, les criminels n'ayant eu que le temps de s'échapper dès qu'ils les avaient aperçus. Ils le délièrent et le ramenèrent à ses gens, lesquels indignés de cette action, et n'ayant pas oublié quelque démêlé qu'ils avaient eu avec Annieouton, persuadèrent celui-ci qui avait été en danger, de déclarer en présence de témoins, qu'il avait appris de ces deux fuyards, qu'Annieouton avait été l'auteur de cette trahison dont on avait fort appréhendé les suites, la nation des Abénaquis étant nombreuse et assez mutine. Ce qui rendait encore probable cette calomnie, était que l'un des deux était son proche parent, d'où on inférait qu'il ne pouvait pas avoir ignoré ce mauvais plan, et que l'ayant su, il devait les en détourner efficacement, ou du moins aviser ceux qui avaient le pouvoir d'empêcher ce désordre.

Cette calomnie si bien concertée trouva tant de crédit dans les esprits, que près de deux mois se passèrent avant que la vérité fut connue. C'était le temps que la divine Providence voulait donner à ce cœur endurci pour s'amollir et se reconnaître. De fait se voyant dans une obscure prison, les fers aux pieds, couché sur la terre et en danger de mourir au gibet, et se sentant accablé de chagrin et comme au désespoir, il fit cette réflexion: «Encore avec tous ces maux, ai-je quelques heures un peu douces de temps en temps. Mes parents et mes amis me visitent qui me consolent et m'apportent un peu à manger, ils me portent compassion, et les Pères ne m'abandonnent point. De plus, je n'ai pas encore perdu toute espoir peut-être que mon innocence sera reconnue. Cependant cette triste demeure m'est insupportable. Que ferai-je donc en enfer qui m'est inévitable si je continue à vivre comme j'ai fait jusqu’à présent? Ah! Mon Dieu, misérable que je suis. Comment pourrai-je demeurer éternellement dans ces flammes cruelles sans soulagement, sans consolation, et dans la rage?» Il entra si avant dans ces pensée salutaires de l'éternité malheureuse qu'il conçut alors devoir être l'héritage assuré de ceux qui meurent malheureusement dans leur péché, et la Foy qui se réveilla en lui, fit dans son esprit une impression si vive de toutes les vérités chrétiennes qu'on lui avait enseignées, que tout effrayé de la vue qu'il eut des extrêmes rigueurs de la justice de Dieu envers ceux qui abusent, comme il avait fait, de ses grâces. Il se dit: «Ah! Mon Dieu, c'en est fait, c'est tout de bon que je veux vous servir.» Il en prit la résolution si ferme, qu'il l'a gardée depuis fidèlement jusqu’à sa mort. À la première entrevue qu'il eut avec le Père Chaumonot: «Ah! Mon Père, lui dit-il, je vous ai trompé jusqu’à présent. J'ai trompé autrefois Aondecheté (c'est le nom du Père Ragueneau). J'ai trompé aussi plusieurs fois Teharonhiagannra (c'est à dire le Père le Mercier). je vous ai tous trompés. Vous me pressiez très souvent de me convertir, et moi, pour vous contenter et pour me débarasser, comme je disais alors, de ces démarches pressantes, je vous accordais en apparence ce que vous souhaitiez de moi. Je vous disais: Oui je me convertirai. Mais il faut que je vous découvre un secret, il faut que vous sachiez que nous avons un oui qui veut dire non, un certain oui traîné et languissant. Quand nous disons: Aaao, quoique nous semblions accorder ce qu'on demande de nous, cet aaao néanmoins ainsi traîné, veut dire: je n'en ferai rien. Au lieu de quand nous accordons quelque chose tout de bon, nous coupons plus court et disons: Ao, oui. Maintenant, mon Père, que j'ai ouvert les yeux, et que Dieu m'a fait la grâce de connaïtre mon malheur, c'est tout de bon que je veux changer de vie.» Il lui declara ensuite tout ce qui s'était passé dans son esprit, les vives appréhensions qu'il avait eues des jugements de Dieu. Et pour mettre en pratique ces bons sentiments, il commença, après s'y être bien préparé par une confession générale de toute sa vie, depuis son baptême. Il la fit avec des sentiments qui donnèrent bien de la consolation au Père. Il était encore alors aux fers, mais peu de jours après, ne s'étant trouvé aucune preuve convaincante du crime dont on l'avait accusé, il fut relâché. La joie en fut très grande dans la bourgade, principalement alors qu’à un festin qu'il fit à tous ses gens, en présence du Père. Il leur parla en ces termes: «Mes frères, c'est maintenant que je reconnais Hechon (c'est le nom du Père Chaumonot) pour mon Père, et que je me déclare son fils. Je veux dorénavant lui obéir en tout ce qu'il m'ordonnera. Hélas! Je n'avais pas de jugement quand je me fâchais quand en le renseignant sur ma vie et des mauvaises mœurs de mes semblables. Je connais bien maintenant qu'il nous est très avantageux pour notre salut qu'il sache tous nos comportements et toutes nos misères, afin qu'il y remédie. Mes frères, ne vous fiez plus à moi désormais. Si quelqu'un d'entre nous avait la volonté de ne pas vivre selon Dieu, ce que je ne crois pas, qu'il sache que je le décèlerai.» Il ajouta plusieurs choses très édifiantes, qui firent que toute la compagnie en bénir la divine Majesté, et de s'en réjouir avec le nouveau pénitent. Ces résolutions si publiques ne furent pas de simples paroles. Elles furent suivies de leurs effets. Il ne parut plus rien en lui de ses anciennes habitudes. Il était des premiers dans tous les exercices de dévotion, et il témoigna tant de zèle pour bannir de la bourgade tous les dérèglement des moeurs, et surtout ceux que l'ivrognerie a coutume de causer, qu'il lui en coûta la vie. Voici en peu de mots comment la chose se passa:

Un jeune homme revenu du pays des Iroquois, chantait dans son ivresse, qu'il voulait y retourner, mais qu'il ne prétendait pas y paraître les mains vides. Cela voulait dire qu'il voulait tuer quelqu'un, et en emporter la chevelure. On en fit rapport à notre Joachim, qui avait demandé au Père de faire l'office de dogique ou catéchiste, en l'absence de Louis Taondechoren, pour réparer le scandale qu'il avait fait avant sa conversion. Il reprend cet insolent, qui n'était qu'à moitié ivre: «Mon cousin, lui dit-il, n'as-tu pas honte de parler de la sorte? Serais-tu si bien dénaturé de vouloir réjouir nos ennemis en massacrant quelqu'un de tes proches? N'as-tu pas encore ici un frère, une sœur, et d'autres parents? Veux-tu donc les abandonner pour aller te donner derechef en qualité d'esclave à des barbares qui ont ruiné notre pays?» (Aujourd’hui, nous appelons ce comportement le syndrome de Stockholm, qui désigne la propension des otages partageant longtemps la vie de leurs geôliers à développer une empathie, voire une sympathie, ou une contagion émotionnelle avec ces derniers.)

Il parlait encore alors que l'ivrogne, et deux autres de ses camarades qui n'avaient pas plus de raison ni de jugement que lui, le jettent par terre, et le frappant de plusieurs coups de couteau, le mettent en tel état qu'il fut enlevé comme mort de leurs mains, avec trois ou quatre plaies très dangereuses.

Étant revenu à lui, il dit au Père: «Mon Père, mon esprit est en repos, je me sens résigné à tout ce qu'il plaira à Dieu d'ordonner de ma vie. S'Il veut que je meure, j'espère qu'Il me fera miséricorde et qu'Il me pardonnera mes péchés. Je pardonne aussi de bon cœur à ceux qui m'ont si maltraité.» Comme il paraissait en danger de mort, et qu'il souffrait de grandes douleurs, il demanda et reçut avec beaucoup de dévotion les derniers Sacrements, le Viatique et l'Extrême-onction.

Cependant, trois jeunes hommes de ses parents veulent le venger. Ils cherchent les meurtriers par toutes les cabanes, où par bonheur ils ne se trouvèrent pas. Le malade ne changea pas de disposition d'esprit. Au contraire, ayant appris ce mauvais plan, il témoigna en être fort fâché, et que s'il l'avait su, il les en aurait détournés efficacement.

Le lendemain matin, le Père et quelques anciens allèrent le visiter. Ils lui présentèrent selon la coutume du pays, un collier de porcelaine, tiré de leur fisc (panier pour recevoir les dons) de Notre-Dame-de-Foy. C'est un petit fonds qu'ils ont fait entre eux par dévotion, et qu'ils entretiennent comme entre les mains de la sainte Vierge, pour aider les pauvres et subvenir à quelques nécessités pressantes. Ce fut donc de ce fonds qu'ils tirèrent ce collier, pour témoigner à ce pauvre blessé le ressentiment que toute la bourgade avait de l'accident qui lui était arrivé, et pour l'affermir dans ses pensées de paix, de douceur et de compassion pour les auteurs de sa mort. Il les remercia de leur civilité et de leur charité, et à l'heure même il envoya chercher les trois jeunes hommes qui avaient voulu venger sa mort, et ceux qui pourraient avoir le même but, leur montra le collier qu'on venait de lui présenter, en leur disant: «Mes neveux, voila la voix et la parole de Notre-Dame et maîtresse qui nous exhorte à oublier tout le mal que j'ai reçu, et l'injure qui m'a été faite par ceux que vous savez. Ne me faites pas passer pour un inconstant et pour un menteur. Il n'y a que peu de jours que je promis solennellement que je serais bon chrétien, et maintenant vous voudriez me faire paraître un vindicatif. Car ne dirait-on pas, si vous faisiez un mauvais coup, que ce serait moi qui vous l'aurais commandé?» Et puis, regardant le Père: «Je vous prie, dit-il, mon Père, qu'on aille chercher les criminels, tandis que j'ai encore la parole un peu libre, qu'ils entendent de ma propre bouche que je leur pardonne de bon cœur, et comme je défends à mes neveux de leur faire aucun tort.» On les trouva. Ils entrèrent dans la cabane, se placèrent aux pieds du malade qui les salua avec beaucoup de douceur, les assurant qu'il ne leur voulait aucun mal, qu'il n'attribuait qu'à la boisson le malheur qui lui était arrivé, et qu'il était bien persuadé que jamais ils ne l'auraient traité de la sorte s'ils eussent été sobres. «Au reste, leur dit-il, vous voyez bien que pour ce qui est de moi, vous n'avez rien à appréhender. Dieu me fait la grâce de n'avoir dans le cœur aucune pensée de haine ni de vengeance contre vous. Mais quand bien même je serais si malheureux que d'en avoir, les blessures mortelles, qui me rendent immobile, m’empêche de vous nuire. Si vous aviez donc à craindre, ce ne pourrait être que de mes neveux. C'est ce qui m'a obligé de les faire appeler pour connaître leurs sentiments, et les faire entrer dans les miens, qu'ils parlent et qu'ils disent nettement en votre présence ce qu'ils ont dans le cœur.» Le plus distingué d'entre eux prenant la parole pour tous, déclara que pour obéir à Notre-Seigneur, qui commandait si expressément de pardonner à ses ennemis, ils renonçaient à tous les sentiments de vengeance qu'ils avaient eus à la vue du malheur arrivé à leur oncle. Tous les autres ensuite s'expliquèrent là-dessus presque en même termes, et les coupables témoignèrent aussi publiquement un grand regret de leur faute, et beaucoup de compassion pour celui qu'ils avaient mis dans un état si déplorable. Cette entrevue se termina par une prière que le Père adressa à Notre-Seigneur, et qu'il fit faire à tous les assistants, en faveur du malade, pour lui obtenir la patience dans ses maux et la grâce d'une bonne mort.

Un de ces jeunes hommes qui avaient voulu se venger de l'outrage fait à leur oncle, fut tellement touché par la réprimande qu'il leur avait faite, que pour réparer le scandale qu'il avait fait, il alla prier le Père Chaumonot de mettre le lendemain dans le petit trésor de la sainte Vierge, un collier de porcelaine qu'il lui présentait. Le Père le reçut, et le lendemain il le produisit devant tout le monde assemblé dans la chapelle, témoignant de la part du coupable, le déplaisir qu'il avait de sa faute, et priant toute la compagnie de lui en obtenir le pardon auprès de la sainte Vierge, qui est considérée comme la maîtresse et la souveraine de cette bourgade. Ces sortes de satisfactions ont autant et plus d'effet parmi les Sauvages que les punitions corporelles parmi nous.

Le malade, qui languit plus de cinquante jours avant de mourir, conserva toujours les mêmes sentiments de charité envers les criminels, tandis qu'ils furent en prison, où ils souffrirent beaucoup. Il demandait souvent de leurs nouvelles par un sentiment de compassion chrétienne, et lorsqu'ils furent élargis, il est bien voulu pouvoir les délivrer de l'amende à laquelle ils avaient été condamnés. Mais ce qui édifia le plus toute la bourgade et les Français du voisinage, fut que ces misérables étant hors d'affaires, il les envoyait souvent prier de venir le visiter pour sa consolation, et qu'il ne témoignait jamais plus de joie que quand il pouvait s'entretenir avec eux. C'était un spectacle pitoyable que de le voir. Ce n'était que putréfaction et que pourriture aux reins et hanches, où il avait été dangereusement blessé. La chair lui tombait par lambeaux, et les os lui perçaient la peau. Il était couché sur une dure écorce d'arbre, couverte d'une légère natte tissée de joncs. Il ne pouvait de lui-même changer de position, et on ne pouvait pas le remuer sans le faire souffrir affreusement. Cependant il ne lui échappa jamais durant toute sa maladie une parole d'impatience. Il bénissait Dieu continuellement et Lui offrait ses souffrances. Un jour, sa femme qui n'avait aucun repos jour et nuit, lui témoignant la peine que lui donnait une si longue et si fâcheuse maladie, il lui dit: «Aoüendihas (c'était le nom de sa femme), ne nous plaignons pas, gardons-nous bien de trouver à redire au procédé de là divine Providence envers nous. Elle est admirable et tout aimable pou moi. Dieu veut que par ces légères peines, je satisfasse en cette vie à Sa justice, pour mes péchés qui ont mérité mille fois une éternité de supplices.» Pendant ses plus cuisantes douleurs, il tenait d'ordinaire les yeux collés sur un crucifix qu'il avait auprès de son lit, avec ces paroles qu'il tirait du fond de son cœur: «Jésus, je Vous tiens compagnie en Votre Croix. Je pardonne volontiers à ceux qui m'ont causé ce que je souffre, comme vous avez pardonné à ceux qui Vous avaient crucifié. Ô que j'endure de bon cœur pour mes péchés, pour lesquels vous avez tant souffert le premier. Je vous demande seulement, mon Sauveur, que vous ayez pitié de moi après ma mort. J'espère qu’alors vous me ferez part de Votre joie, puisque Vous me faites maintenant la grâce de participer à Votre Passion.»

Il n'était jamais seul. Toutes les familles le visitaient chacune à son tour, et l'assistaient en tout avec une charité bien agréable à Dieu, et que les Français ne pouvaient assez admirer.

Le jour de sa mort, le voyant dans des convulsions qui montraient que sa fin approchait, ils s'assemblèrent tous dans sa cabane, et comme ils n'ignorent rien des saintes coutumes de l'Église, ils firent comme ils purent en leur langue les recommandations de l'âme, en l'absence du Père qui était allé à quelque autre bonne œuvre pressante, après avoir administré tous les Sacrements à notre malade.

Il fut fort consolé à son retour de les trouver tous à genoux dans ce saint exercice, et son malade encore en état de faire en le suivant, quelques actes de foi, de confiance en la miséricorde de Dieu, de charité et de résignation à Sa sainte volonté, après lesquels il expira doucement, laissant à toute la compagnie de grandes espérances de son salut eternel.

Il y eut une évènement assez extraordinaire à ses funerailles, où assistèrent toutes les familles du village et plusieurs Français du voisinage. Avant qu'on mit le corps en terre, la veuve demanda si les auteurs de sa mort étaient présents, et lui ayant répondu que non, elle pria qu'on les allât quérir. Ces pauvres gens étant venus, ils s'approchèrent du mort, les yeux baissés, la tristesse et la confusion sur le front. La veuve les regardant: «Hé bien, leur dit-elle, voila le pauvre Joachim Annieouton. Vous savez ce qui l'a réduit dans l'état où nous le voyons maintenant. Je ne vous en demande pas d'autre réparation, sinon que vous priiez Dieu pour le repos de son âme

Nous avons reconnu par la conversion de ce Sauvage, qui avait donné tant de mal au zèle de nos missionnaires, qu'il ne faut jamais désespérer du salut des plus vicieux, mais qu'il faut incessamment surveiller les occasions et les moments de grâce qui se fait sentir surtout dans les afflictions. Et nous pouvons dire de celui-ci, que son emprisonnement et ses fers lui ont fait recouvrer la liberté des enfants de Dieu.

La consolation de ce bon Sauvage aurait été entière, si ses blessures eussent pu permettre de le transporter à l'hôpital de Québec, où les Religieuses Hospitalières, que Madame la Duchesse d'Aiguillon y a fondées et établies depuis plus de 33 ans, assistent avec toute la charité possible, non seulement les Français dans leurs maladies, mais aussi les Sauvages, de quelque nation qu'ils soient, Algonquins, Hurons, ou Iroquois. Tous ces peuples y sont reçus à bras ouverts, traités et couchés à la française dans leurs maladies; et même les familles entières qui viennent des pays étrangers pour s'habituer à Notre-Dame-de-Foy parmi les Hurons, ou à Sillery avec les Algonquins, y sont les bienvenues, hébergées et nourries jusques à ce qu'elles voient clair pour leur établissement. Aussi les sains et les malades, qui y ont recouvré leur santé, publient partout leur charité et les bons exemples qu'ils y voient de toutes les vertus. Ils ne parlent qu'avec admiration de leur assiduité auprès des malades, comme elles passent souvent les nuits, ou en prieres, ou en les soulageant dans leurs douleurs, et les exhortant à la patience avec un tel succès, que c'est beaucoup de mourir à l'hôpital de Québec pour avoir des marques sensibles de sa prédestination.

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